Les jours bénis

 

 

CE que l’instinct voudrait choisir,

Ce que la conscience impose,

Le devoir et notre désir,

Hélas ! sont-ils la même chose ?

 

Pourquoi si rarement l’attrait

Est-il du côté de la tâche ?

Quand le bien commande en secret,

Pourquoi l’homme se sent-il lâche ?

 

Dans notre cœur si combattu

Pourquoi ce plaisir de rebelle

Et cet ennui de la vertu

Qui cependant nous paraît belle ?

 

Pourquoi faut-il que le bonheur

Se gravisse comme un calvaire ?

Le bien est-il dans la douleur ?

Envers nous Dieu paraît sévère.

 

Mais il est des jours où le ciel

Laisse, indulgent, du haut des nues,

Comme un sourire paternel

Pleuvoir des grâces inconnues.

 

Ces jours-là, le cœur est d’accord

Et son harmonie est parfaite ;

La vertu n’est plus un effort,

Le sacrifice est une fête.

 

En nous est mort tout le mortel.

Le divin n’a plus rien d’étrange

Et le miracle est naturel ;

Nous avons les ailes de l’ange.

 

Instants sacrés, trop vite enfuis,

Où, dans nos extases profondes,

Nous entendons au sein des nuits

Vibrer la musique des mondes,

 

Heures sans prix, moments trop courts,

Où rien ne souffre et ne réclame

Au fond de nous-mêmes ; beaux jours,

Vous êtes les Noëls de l’âme.

 

 

 

Henri-Frédéric AMIEL,

Jour à jour, 1880.

 

 

 

 

 

 

 

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