Stances de mer

 

 

Après les baisers,

Haubans pavoisés,

S’enfuit la Mireille.

À quand le retour ?

Sait-on bien le jour ?

Té ! adieu, Marseille.

 

Rentrez le mouchoir !

Mes amis, bonsoir !

Au loin tout s’efface.

Poignantes douleurs,

Les mères, en pleurs.

Se voilent la face.

 

« Allons, mes enfants,

Nous aurons beau temps,

Les vents sont honnêtes.

Grand largue partout !

Lâchez jusqu’au bout !

Largue les bonnettes ! »

 

Au bruit sourd des flots.

Tous les matelots

Mêlent, en cadence,

Leurs rudes accents,

Perçants ou puissants :

C’est la contredanse.

 

« Ohé ! moussaillon,

Jeune rimaillon,

Pousse-nous-en une !

Vas-y sans retard ;

Nous ferons ton quart

Ce soir, dans la hune, »

 

Trimant, flic et fioc,

En filant le loch.

Je vois les étoiles,

Trimant, flic et floc,

En filant le loch,

Qui brillent sans voiles.

 

Leurs regards joyeux,

Descendant des cieux,

Caressent nos âmes.

Ne dirait-on pas,

Cachant leurs appas,

Que ce sont des femmes ?

 

Trimant, flic et floc,

En suivant le loch,

J’entends la sirène.

Trimant, flic et floc.

En filant le loch,

Serait-ce ma reine ?

 

« Laisse ton corps las

Dormir dans mes bras.

Donne-moi ta bouche,

Et nous rêverons,

La joie à nos fronts,

La nuit, sur ma couche ! »

 

Trimant, flic et floc,

En suivant le loch,

Ce sont des mirages.

Trimant, flic et floc,

En filant le loch,

Craignons les orages !

 

« Les vents ont changé ;

L’avant a plongé ;

Mais la toile est sûre,

– Fermez les hublots !

Et que tout soit clos. –

À bâbord, amure !

 

» Bah ! ce n’est qu’un grain,

Mais il va bon train ;

La houle commence.

Pare aux violons !

Ne soyez pas longs !

– En place ! la danse !

 

» Ohé ! tribordais,

Et vous, bâbordais,

La voilure, cargue !

Serrez les agrès !...

Nous sommes parés.

La tempête, nargue ! »

 

Sur le flot trompeur

Ils n’ont jamais peur,

Car, pour sauvegarde,

Ils ont... La voilà

Dans le ciel. C’est la

Dame de la Garde.

 

Mon cœur est ainsi ;

Il n’a nul souci :

N’a-t-il pas sa dame !

Cet ange gardien,

Tu le connais bien,

N’est-ce pas, mon Âme ?

 

 

 

Amédée AMORIC.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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