La jeune veuve
ODE
J’ai trop longtemps sur moi vu tomber la pitié
De femmes, qui d’un masque où se peint l’amitié
Ont peut-être emprunté les charmes ;
Enfin de ma douleur je n’ai plus de témoins ;
Seule, je puis gémir, seule je souffre moins ;
Mes yeux ont retrouvé des larmes.
Toi que naguère encor je pressais sur mon sein,
Je ne te verrai plus ! Le fer d’un assassin
À tranché le cours de ta vie,
Et la mienne, aujourd’hui, n’est pour moi qu’un fardeau
Dont je supporterai le poids jusqu’au tombeau :
Espérance tu m’es ravie !
Pour moi plus de printemps, pour moi plus de beaux jours,
Pour moi plus de ces nuits où l’ange des amours
Nous versait leur volupté pure :
Je suis comme cet arbre, orgueil de nos vallons,
Que le souffle imprévu d’orageux aquilons
Vient dépouiller de sa verdure.
À l’heure où son baiser caressait mon réveil,
Sur mon lit, désormais, chaque nouveau soleil
Me trouvera seule et plaintive ;
Pleurer ! toujours pleurer ! lorsque j’ai tout perdu,
Qu’ici bas le bonheur ne peut m’être rendu,
Sur la terre suis-je captive ?
Quand le plus tendre époux, par la mort entraîné,
Quitte de nos amours l’asile fortuné,
Pour une nouvelle demeure,
Ne puis-je m’y frayer un rapide chemin ?
Oui, je vais le revoir, il m’attend : de ma main
C’en est fait, il faut que je meure.
Plus d’orages pour moi, je vais entrer au port...
Qu’ai-je osé dire, ô ciel ! à quel affreux transport
La douleur m’a-t-elle livrée !
Pardonne, Dieu clément ; pardonne au désespoir ;
Je sais ce que m’impose un austère devoir,
J’en suivrai la route sacrée.
Mon Dieu, je subirai tes rigoureux arrêts :
On ne m’entendra plus accuser tes décrets,
Et maudire mes destinées ;
Que pour les malheureux mes jours soient un bienfait,
Je ferai tout le bien que mon époux eût fait
S’il eût coulé d’autres journées.
On ne me verra pas, fastueuse en mon deuil,
Artémise nouvelle, enfermer son cercueil
Au sein d’un pompeux mausolée ;
Je n’achèterai point les louanges d’un chant ;
Une pierre, une croix, son nom, son nom touchant,
Couvriront sa tombe isolée.
C’est là que chaque soir je porterai des fleurs ;
C’est là que, pour tromper mes amères douleurs,
J’irai prier clans le mystère
Jusqu’au jour consolant où, m’appelant aux cieux.
Pour me rendre celui que demandent mes yeux,
Dieu m’enlèvera de la terre.
Édouard d’ANGLEMONT.
Paru dans les Annales romantiques en 1826.