Abolition de l’esclavage en Afrique

 

 

POÉSIE ANONYME ÉCRITE EN LATIN AU COURS DU DERNIER QUART DU XIXe SIÈCLE

 

 

 

 

Là où le soleil touchant au zénith inonde de ses feux les plaines de l’Éthiopie et teint en noir le corps des hommes, dans un lieu où vous ne rencontreriez aujourd’hui que des forêts inhabitées et un sauvage désert, là s’élevait naguère un hameau caché sous la verdure, dont les huttes abritaient une nombreuse population. Au point du jour les hommes adultes l’ont abandonné, pour se livrer à leurs occupations. Armés de rapides javelots, les uns se plaisent à poursuivre le gibier où à lui tendre des pièges. Mais si par hasard un éléphant, trompé par une fosse dissimulée, s’y est laissé choir, du haut de l’ouverture ils lui plongent leurs épieux dans le corps, jusqu’à ce que, privé de vie, il couvre le sol de sa masse inerte. Affranchie alors de toute crainte, les chasseurs s’empressent de scier ses défenses qu’ils emportent pour les enfouir sous le seuil de leur demeure et en faire ensuite l’objet d’un commerce lucratif. D’autres, arrêtés sur la rive d’un fleuve, s’appliquent à attirer des poissons friands dans leurs nasses trompeuses, ou bien ils cueillent du fruit que, sans labeur aucun, leur prodigue cette terre fertile entre toutes. La datte dorée leur est fournie par un palmier au riche feuillage, tandis qu’un autre palmier porte des noix dont la coque, entamée par la scie, livre des coupes pleines d’un nectar semblable au lait. C’est ainsi que spontanément chaque arbre se pare d’un produit différent.

Pendant ce temps, la mère de famille, retirée sous son toit de chaume, tresse, avec un art primitif, des corbeilles de branches flexibles et, après avoir donné le sein à ses derniers enfants, elle les berce de ses chants. En contemplant leur nez aplati, leur front déprimé, leur mâchoire saillante et l’épaisseur de leurs lèvres, elle approuve chaque détail et se complaît dans ses rejetons. Enfin, dernier vestige d’une religion disparue, elle suspend à leur cou des amulettes en écorce, qui doivent les préserver des incantations et des regards mauvais. Cela fait, elle se promet, ainsi qu’à tous les siens, une paisible vieillesse. Cependant ses fils plus avancés en a.ge se répandent à travers le hameau et, se livrant à mille jeux divers, le font retentir de leurs éclats de joie et de leur rire bruyant. Soudain, ils courent au-devant de leur père qui retourne au logis et le déchargent de son butin. Un brasier est allumé au centre de la hutte et sert à apprêter les viandes. Bientôt on prend plaisir à se rassasier de gibier, en étanchant sa soif dans une onde claire. Puis c’est le moment de narrer les évènements de la journée, jusqu’à ce que la famille s’endorme, étendue sur des dépouilles d’animaux, sans le plus léger pressentiment de la catastrophe imminente.

Mais voilà que, sous la silencieuse clarté de la lune, s’avance à travers la forêt un parti de cavaliers ennemis, armés de toutes pièces et que déjà il approche du hameau, sans que rien ne trahisse sa présence. Ce sont des métis, qui, issus d’un père Arabe et d’une négresse esclave, manifestent, par la couleur indécise des membres, leur double origine et cumulent les vices de l’une et de l’autre race. Mais ce qui prédomine dans leur âme, c’est l’âpre soif du gain. Plus redoutables qu’un serpent aux immenses replis, qu’une tigresse allaitant ses petits et que tous les monstres produits par la sauvage Lybie, ils se présentent soudain sur les lieux et cernent le village, déjà précédemment exploré, ayant soin d’en garder toutes les issues. Bientôt s’élève de toute part un effroyable tumulte ; l’incendie allumé sur plusieurs points à la fois développe une épaisse fumée qui s’élève en spirales et se teint de sinistres lueurs. Les ténèbres elles-mêmes reflètent la flamme, tandis qu’éclate au milieu des éclairs la fusillade meurtrière. Le plomb homicide vole en sifflant et répand le carnage ; le ciel paraît s’effondrer et la terre s’entrouvrir. Réveillée en sursaut, la population se précipite hors des cabanes et cherche son salut dans la fuite. Les hommes à la fleur de l’âge et les vieillards, atteints par le plomb rapide, tombent foudroyés au milieu de leur course folle et les aïeules elles-mêmes sont vouées au trépas par leur existence inutile. Cependant les mères tremblantes, les enfants et les jeunes filles sont refoulées dans un étroit espace, puis les bandits font le dénombrement des captifs qui, liés entre eux par des cordes, jettent en vain des regards éplorés sur leurs proches agonisants, sur leurs demeures embrasées et sur le sol jonché des débris de leur fortune. Il n’est point donné à l’épouse d’humecter de ses larmes les blessures de son époux frappé à mort et de recueillir son dernier soupir dans un baiser. Au comble de l’infortune, elle maudit l’heure de sa naissance : son courage l’abandonne et le désespoir s’empare de son âme. Il ne lui reste qu’une dernière consolation ; c’est de presser contre son sein ses enfants qui, ignorants de ce qui se passe, se suspendent instinctivement à son cou. Hélas ! ce n’est ni pour elle, ni pour le compagnon de ses jours qu’elle a conçu, mais uniquement pour l’ennemi. Pendant ce temps, les ravisseurs écartent les résidus de l’incendie et fouillent le sol tout à l’heure recouvert. À la vue de l’ivoire enfoui sous le seuil mal gardé, ils poussent des cris d’allégresse et chargent les jeunes captives, dont les bras sont restés libres, du transport de leur butin.

Quand l’aurore, à son retour, recule épouvantée devant ce spectacle de désolation, le chef de l’expédition fait retentir son fouet et donne par là le signal du départ. Le bétail humain s’avance en longues files vers un but inconnu, à travers des pleines stériles et des rochers inabordables. Souvent la profondeur des sables entrave la marche ; souvent aussi des lianes, courant d’arbre en arbre, enlacent leurs troncs et retombent partout en guirlandes impénétrables ; ou bien encore des herbes, à la végétation luxuriante, font naître un nouvel obstacle. Force est alors de changer de direction et de racheter le temps par une course plus rapide. Femmes infortunées, que leur triste destin condamne, sous la constellation brûlante du Cancer, à fournir de longues étapes sur les parages où la grande Ourse scintille à travers les ténèbres ! Le repos leur est inconnu et si, terrassée de fatigue, l’une ou l’autre ne se sent plus la force d’avancer, une lanière taillée dans la peau d’un rhinocéros lui cingle le corps et en fait jaillir le sang. Ce remède est-il inefficace et l’infirme, à bout de forces, sent-elle ses jambes se dérober sous elle, à l’instant une lourde massue s’abat sur sa tête. Elle tombe en teignant le sol de sa cervelle répandue et par son trépas frappe d’épouvante ses compagnes. Enfin le cadavre débarrassé de ses liens est abandonné aux bêtes féroces et aux oiseaux de proie, qui, par milliers, suivent la caravane à travers l’espace. Arrêtée un instant par l’incident, celle-ci poursuit sa marche et puise de nouvelles forces dans la terreur. Une mère a vu son lait se tarir par l’inanition. Tandis qu’en gémissant elle présente à son nourrisson un sein épuisé, l’enfant est arraché de ses bras et, après avoir tournoyé dans les airs, il est écrasé à l’angle d’un rocher. Tel un voyageur qui a rencontré sur son chemin une vipère engourdie par le froid, n’hésite pas à lui briser la tête contre une pierre.

Les jours se succèdent apportant chacun de nouvelles douleurs à la troupe épuisée de fatigues. Seulement à l’apparition des étoiles, il lui est donné de se reposer sur la terre nue, au bord d’un fleuve et de tromper par une chétive nourriture la faim contractée durant une longue journée. Couchées contre terre, à la manière des animaux sauvages, les femmes plongent avec avidité leurs lèvres dans l’eau courante ; puis il leur est enfin permis de goûter le repos. Néanmoins dans ces moments mêmes, des songes cruels agitent leur sommeil : se représentant les scènes récentes, elles remplissent les airs de leurs lugubres lamentations. À leurs voix répondent les rugissements épouvantables des lions, à peine tenus à distance par l’éclat de nombreuses flammes. Cependant la clarté des feux attire des essaims de moustiques avides de sang, qui couvrent de piqûres envenimées les membres tuméfiés. À chaque jour de nouvelles victimes qui réduisent le nombre des captives, jusqu’à ce qu’enfin, sur le point de succomber à leur tour, elles se voient en présence d’une ville maritime et d’un port ouvert aux navires battus par les flots. Grande est leur surprise en présence de remparts qu’elles aperçoivent pour la première fois et elles contemplent avec ébahissement l’agitation de la mer sillonnée de voiles. Quand la caravane, décimée par la mort, a franchi la porte de la cité, apparaît à ses yeux une mosquée de style étrange, dont le dôme est surmonté d’un croissant. Du haut d’un minaret, le muezzin annonce d’une voix retentissante qu’il est l’heure d’invoquer Allah et le prophète qui vient immédiatement après lui. Le chef des bandits commande une halte, puis, après avoir pratiqué les ablutions qui doivent le purifier des souillures contractées, il se jette à genoux et, tendant vers le ciel ses mains souillées de sang, il prie Dieu de bénir ses entreprises, de façon qu’elles lui rapportent de gros bénéfices et que ses coffres se trouvent trop étroits pour contenir le gain réalisé. En même temps il lui rappelle que jamais il n’a touché ni au vin ni à aucune autre liqueur enivrante.

On arrive enfin au terme de la voie douloureuse. Le troupeau vénal, ignorant le sort qui l’attend, est poussé dans une fétide prison, et l’homme qui en ferme la porte recule devant les émanations nauséabondes qui s’en échappent. Aussitôt se répand dans la ville le bruit de l’arrivée d’un nouvel assortiment d’esclaves. On publie la mise en vente de jeunes filles, de femmes enceintes et d’enfants à la mamelle. La population accourt sur les lieux. L’écurie s’ouvre et son contenu est amené dans une cour spacieuse. Le chaland arabe, étranger à toute civilisation, vocifère et gesticule à outrance. Il palpe la marchandise, la critique et la déprécie. Le vendeur, de son côté, la fait valoir de son mieux et les propos s’échangent avec une surprenante volubilité. Enfin les parties tombent d’accord et le prix convenu est acquitté. Un enfant, arraché des bras de sa mère éplorée et luttant avec des forces surhumaines pour le retenir, est livré à un étranger et, plus jamais cette femme et son fils ne se reverront ici-bas. La douleur même de la mère lui est imputée à crime. Saisie par sa chevelure laineuse, elle est châtiée de sa résistance et apprend tout à la fois à se passer de son enfant et à tenter les amateurs en leur présentant un visage souriant. Enfin elle aussi a trouvé un nouveau propriétaire et elle quitte le marché sous sa conduite.

Horrible pensée ! L’être humain que le Christ a racheté au prix de tout son sang est échangé contre quelques pièces de monnaie, comme la plus vile des marchandises. Et les malheureux n’ont pas même la pensée de lever leurs regards vers le ciel, tant est profonde la nuit et insurmontable l’ignorance dans laquelle ils sont plongés. Comment, malgré la résistance de la Muse chaste, vous retracer le sort qui les attend ? Jouet inconscient de son maître et étrangère à toute notion de pudeur, la femme esclave est livrée aux passions honteuses et subit tous les caprices de ses maîtres successifs, donnant le jour à des fils de sang mêlé, ennemis nés de sa race, sans rien espérer ni redouter au-delà de la tombe. Plus digne encore de pitié est le sort des enfants mâles voués dès leurs premières années à devenir les victimes de honteux débordements et d’un vice qu’on ne saurait nommer ; puis, dans un âge plus avancé, ou bien ils sont privés de la virilité, pour être préposés au harem de leur maître, ou bien ils labourent les champs dont ils ont la garde. Point de repos pour les vétérans du labeur, à moins qu’une mort prématurée ne vienne mettre un terme à leurs fatigues.

La tolérance n’a-t-elle donc aucune limite ? Jamais la terre d’Afrique ne sera-t-elle affranchie d’une ignominieuse barbarie et de scènes de carnage ? D’infortunés esclaves trembleront-ils toujours devant un maître inhumain, le ·corps impitoyablement déchiré par des coups de fouet ? Ou bien seront-ils à tout jamais victimes d’excès sans nom qui ont attiré le feu céleste sur la Pentapole coupable ? Lève-toi enfin, ô Christ Dieu ! Si, cédant à une juste colère, Noé a lancé sa malédiction sur un de ses fils et si la noire descendance de celui-ci expie le crime de son auteur, n’ayant plus de patrie ni sur terre ni au ciel, ne te souvient-il pas du roi de la même race qui, à ton berceau, t’a offert un présent de myrrhe ? Auteur de la céleste lumière, indique la voie aux aveugles et dissipe les ténèbres qui les égarent. Si, pour arracher les hommes à la mort encourue, tu n’as pas hésité à prendre la forme d’un esclave et si, du haut de la croix, tu as ouvert les bras à toute nation, jette enfin un regard de miséricorde sur les Éthiopiens et dispose-les à invoquer ton saint nom en fléchissant le genou. Que la liberté, issue de ton sang divin, répande un vif éclat d’une extrémité à l’autre de notre globe.

Mes prières n’ont point été vaines. Voilà qu’un prélat français, revêtu de la pourpre romaine et salué comme père par l’Algérie fortunée, mérite les encouragements du grand Léon en appelant aux armes les milices du Christ. Aussitôt que la chaire sacrée retentit de son éloquence, l’ardente jeunesse court aux armes, s’en empare et les brandit. À l’instant le mot d’ordre circule parmi les peuples surpris. Les dames et les jeunes filles élégantes se font une joie de se dépouiller de leurs bijoux, afin que l’or, fondu au creuset et converti en monnaie, contribue à la solde des intrépides cohortes. Voici que l’esprit prophétique s’empare de moi ; l’avenir se déroule à mes yeux et je ne suis point le jouet de vains présages 1. L’Allemagne et la France oublient leur longue hostilité pour conclure une alliance. L’Autriche ne refuse pas son concours à la magnanime entreprise et le Hollandais aventureux s’apprête à faire sortir sa flotte du port septentrional. Déjà le vaisseau impatient rompt ses amarres, obéissant à l’hélice rapide qui tournoie sous la carène et pousse l’énorme masse à travers les eaux refoulées. À ces forces, l’Italie et l’Espagne joignent les leurs. L’Angleterre, cette reine des mers, ne se soustrait point à la noble entreprise, non plus que le continent découvert par Colomb, qui, de son propre mouvement, a brisé les chaînes de ses esclaves. Déjà tous ceux qui appartiennent à la nouvelle milice se rassemblent et remplissent les ports de leur foule enthousiaste.

Oh ! si la vieillesse condamnée au repos ne m’enviait une gloire si pure, en me rendant impropre aux fatigues de l’expédition, que je serais heureux de prendre part à ta campagne, vaillante jeunesse que l’univers entier accompagne de ses vœux tout le long de la route qu’indique l’aiguille aimantée, en tournant sa pointe dans la direction opposée ! Naviguez sous d’heureux auspices, guerriers favorisés du Ciel, vous qui apportez la délivrance à nos frères noirs, la défaite à l’Arabe sanguinaire et d’éclatants triomphes à la Croix. Vous aussi, ministres du culte, qu’enflamme une sainte ardeur, partez et comptez enfin sur un solide appui. Heureux de vos succès, répandez la semence de la divine parole sur la terre africaine et, invoquant avec efficacité le Dieu triple et un tout à la fois, répandez sur les fronts l’eau salutaire qui fait disparaître les traces de la faute originelle.

Quant à toi, grand Léon, charitable pasteur du bercail sacré, qui de ta prison du Vatican dictes aux peuples de justes lois et, dépouillé par l’ennemi italien, n’hésites pas à prélever sur les offrandes des peuples les sommes destinées à l’affranchissement des esclaves, les siècles émerveillés te rendront d’éternelles actions de grâce. Le poète, sans doute, ne recevra aucune couronne pour son œuvre ; mais il lui suffit d’avoir porté aux nues ton nom glorieux.

 

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1. Cette poésie a été écrite à l’époque où, excité par la voix du cardinal Lavigerie, le monde chrétien semblait vouloir prendre les armes contre les Arabes, marchands d’esclaves. Si le zèle du premier moment s’est un peu ralenti, nous ne désespérons pas encore d’une action commune.

 

 

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VERSION LATINE INITIALE DE CETTE POÉSIE

 

 

 

AFRICANA SERVITUS

 

ABOLENDA

 

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Aethiopum lustrat qua sol altissimus arva,

Inficit et nigranti hominum fuligine corpus,

Nunc ubi desertum nemus et loca sola videres,

Vicus erat nuper silvis protectus opacis,

Et celebri stabant habitata mapalia turba.

Mane novo exierat studiis intenta diurnis

Mascula progenies : veloci instructa sagitta

Pars agitare feras laqueisve innectere gaudent.

Verum elephas si forte cavo deceptus operto

Incidit in foveam, telis huic desuper instant,

Degravat exanimi donec sub pondere terram.

Hinc geminum innocuo certant abscindere dentem,

Succeduntque oneri, lare quod custode sub ipso

Defodiant in spem lucri. Pars amnis ad undam

Insidiosa trahunt avidos in retia pisces,

Pomave decerpunt, nullo impendente laborem,

Sponte sua passim quae fert uberrima tellus.

Aurea suggeritur plena caryota comanti,

Palmaque lactenti plenas dat nectare conchas,

Nux ubi mordaci patuit rigidissima serrae,

Et varios ultro fetus varia induit arbos.

    Stramineo interea tecto de vimine cistas

Arte rudi intexit postremosque ubere partus

Sustentat genitrix, mulcetque in somnia cantu ;

Quorum ea dom simas nares frontemque reductam,

Exstantes malas et crassa labella tuetur,

Singula laeta probat, seque admiratur in illis,

Securamque sibi spondet prolique senectam.

Huic quoque – relligio caecis quae sola relicta est, –

Appendit collo magicas de cortice larvas,

Carmina ne forte officiant oculive nocentes.

At pueri quibus est paulo iam firmior aetas,

Discurrunt, variosque cient per compita lusus.

Et clamore locos implent risuque soluto,

Excipiuntque suos reduces, praedamque receptant.

Protinus admotis torrentur viscera prunis

Tectorum in medio ; ventremque explere ferina

Laetantur puraque sitim restinguere lympha ;

Eventus nec non amor est narrare recentes,

Pellibus effulti donec dant corpora somno,

Nec venit in mentem sors ut motetur in horas.

    Infidae sed enim per muta silentia lunae

Sub nemore alipedum tergo defertur equorum

Bello instructa manus, viooque invisa propinquat.

Patre Arabo et nigra furto satus hybrida serva

Ancipites prodit membris pallentibus ortus,

Et geminis flagrat vitiis : ante omnia versat

Degenerea animos lucri scelerata cupido.

Saevior immani serpente et tigride foeta

Et quotquot diris Libye scatet horrida monstris

Improvisus adest, pagumque indagine cingit

Ante exploratum, via nec super ulla salutis.

Haud mora, terrifico miscentur cuneta tumultu,

Sparsaqoe nigrantem volvunt incendia fumum

Vorticibus rutilis, tenebrasque robore sinistro

Inficiunt, subitosque micans e faucibus ignes

Ferrea canna vomit : dat missile sibila plumbum

Perniciem spargens : coelum ruere omne videtur

Dissiliente solo : tum prosilit excita somnis

Turba casa, effugiumque petit pavefacta malorum.

Glande cadunt icti crepitante virique senesque,

Praecipiti dum fata volunt evadere cursu,

Nec sua non aviam condemnat inutilis aetas.

At trepidae matres, pueri innuptaeque puellae

In breve coguntur spatium, captivaque praedo

Dinumerat capita ; adstricti per mutua vinclis

Nequicquam saeva languentes morte propinquos

Tectaque respiciunt atra consumpta favilla

Sternentesque solum, nuper sua regna, ruinas.

Vulnera nec mulier potis est abstergere fletu,

Nec suprema viro datur oscula figere rapto.

Obstupefacta malis natalem devovet horam,

Dimittitque animum, nec iam spem concipit ullam.

Tum quae sola super, prolem complexibus ambit

Ignaram rerum consuetaque colla petentem,

Non sibi, non thalami socio fecunda, sed hosti.

Dimovet interea cinerem et tellure reclusa

Infido penitus defossum ut limine raptor

Vestigavit ebur nitidum, exsultatque tuendo,

Et vacuis tradit sua furta gerenda puellis.

    Effera quum rediens Aurora exhorruit acta,

Admonet ecce suos quassata ductor habena,

Diacessumque parat : propellitur agmine longo

Humanum pecus, ignotisque advertitur oris

Exustos per agros adituqae carentia saxa,

Dum cumulo gressus passim cohibentur arenae.

Saepe etiam arboreos nectunt spatiantia truncos

Sarmenta, et variis dependent undique sertis,

Praepediuntque viam, vel inexpunabile gramen,

Luxuria obsistit : regione hinc cedere recta

Coguntur gressuque moras pensare citato.

Heu miserae matres, rapido sub sidere Cancri

Quas agit immensos mala sors percurrere tractus,

Qua per noctem Heliceque nitent septemque Triones !

Nulla quies usquam fessis. Superante labore

Sin vetat invalidae cuidam procedere languor,

Rhinocerotis eam sectis de tergore loris

Plectit herus, flagroque rubet discissa cruento.

Quae si non addit male firmae industria robur,

Aegraque crura labant, immani percita clavo

Corruit effuso terram sparsura cerebro,

Atque nece exemplum praebet memorabile tardis.

Solvitur adstricto tum denique fune cadaver,

Esca relicta feris et, quae per inane secutae,

Millibus alituum, casuque morata parumper

Turba novas haurit trepida formidine vires.

Tum si quam subito lactis defecerit humor,

Exsiccata gemens quum porrigit ubera nato,

Abripitur matris gremio et sublime rotatus

Discussa ad lapidem cervice illiditur infans ;

Quam facile algentem per iter si forte colubram

Repperit, infringit caput huic ad saxa viator.

Nulla adeo effetis lux iam toleranda dolorem

Non affert, tantumque polo surgentibus astris

Fluminie ad ripam nuda consistere terra

Exiguoque datur ieiunia fallere victu

Per longam collecta diem ; tum more ferarum

Ore trahunt avido submissae corpora fontes,

Et serae tandem licet indulgere quieti.

Somnia tunc etiam fessas crudelia ludunt,

Sopitaeque implent querulis ululatibus auras,

Dum nox atra refert actae spectacula lucis.

Respondet contra vox irritata leonum,

Vix fulgore suo creber quos distinet ignis ;

Invitatque idem culicum saeva agmina fulgor,

Qui tumefecta acri contingunt membra veneno.

Attenuat numerum serviliaque agmina carpit

Quaeque dies, donec fractis aestuque viaque

Urbs in conspectu surgit prope litoris undam,

Atque vagis iuxta statio patet apta carinis.

Adspectos inhiat tum primum femina muros,

Velivolique maris miratur fervere fluctus.

Extenuata nece ut subiere examina portam,

Barbarico apparat structum de marmore templum,

Dimidiaeque tholis exstant imitamina lunae.

At gracili turris clamans e culmine praeco

Tempus adesse monet votis inflectere numen

Supplicibus, vatemque Deo qui proximus haeret.

Stare gregem latro indicit ; tum fontis ad undam

Mergere aquis commissa putat, genibusque volutans

Caede cruentatas protendit ad aethera palmas,

Imploratque Deum bonus ut rite orsa secundet,

Praedulcemque ferant suscepta negotia questum,

Nec sua iam capiant crescentem scrinia censum,

Si modo legis amans nunquam spomantia vina

Hauserit aut sanos turbantia pocula sensus.

    Inde viae ut tandem metam tetigere molestae,

Truditur in foedam venalis turba catastam,

Arcta loco tristi et venturae nescia sortis ;

Quique seras aptat, pulsus foetore recedit.

Diditur extemplo totam vaga fama per urbem

Servilem adventasse gregem, prostare puellas

Nunc iterum, gravidas matres fetosque minutos.

Approperant cives, stabuloque in aperto recluso

Capta manus prodit ; non ullo exultus ab usu

Vociferatur Arabs, excussaque brachia iactat,

Contrectatque manu merces, culpatque premitque ;

Quas nimiis contra dum laudibus institor effert,

Verba volant sermone ultra citraque rotato.

Convenit ecce viris tandem, pretioque soluto

Multa relactanti majoraque viribus ausae

Deditur externo proles abrepta parenti,

Non iterum orbatae reliquum visenda per aevum ;

Nec iam flere vacat : crispis apprensa capillis

Dat poenas mulier, partuque carere novello

Emptoresque hilari discit conquirere vultu,

Donec et ipsa foro dominum lucrata recedit.

    Proh scelas ! asseruit toto quem sanguine Christus,

Merx homo mutatur paucis vilissima nummis,

Nec subit ad superas attollere lumina sedes,

Dum tenebrae officiunt et ineluctabilis error.

Cetera quid referam casta indignante Camena ?

Ludibrium domini sanctique ignara pudoris

Concubitus patitur venali corpore foedos

Permutatque mares alieni femina juris

Pallentes vernas, hostes paritura suorum,

Nec tumulo quidquam ulterius speratve timetve.

Quam tamen illarum tua sors magis improba sorte,

Mascula progenies, nondum pubentibus annis,

Obscenoque probro et veneri devota nefandae !

Tum pueris ut adest lustris labentibus aetas,

Hic thalamos et heri secreta cubilia servat

Semivir ; exercet rastris ille arva colonus

Credita, et assiduo glebae sudore rigantur ;

Nec prius emerito fas indulgere quieti,

Spiritus ante diem lassos quam deserit artus.

    Usque adeo nihil est vetitum ! Nunquam Africa tellus

Barbarie tristi fusoque cruore vacabit ?

Nunquam adeo non infelix durissima servus

Iura tremiscet heri scutica conscissus atroci ?

Aut scelus admittet natura horrente repressum,

Pentapoli meritae quum flammeus ingruit imber ?

Surge age, Christe Deus ! Iusta si percitus ira

Devovit sobolem Noe, fuscoque colore

Stirps infecta luit crimen, terraque poloque

Cui iam nulla patet sedes, non mente recursat

Qui puero tibi rex eiusdem gentis alumnus

Myrrhea dona tulit ? Superi tu lumiuis auctor,

Pande viam caecis, tenebrasque resolve nigrantes.

Qui genus adscita nostrum ne morte periret,

Nequaquam es veritus servilem assumere formam,

Deque cruce omnigenae pandisti brachia genti,

None saltem Aethiopum populos prono adspice vultu,

Daque tuum implorent submisso poplite nomen ;

Denique libertas divino parta cruore

Terrarum nullo non fulgeat aurea tractu.

    Haud periere preces : Latiali splendidus ostro,

Quem proprium agnoscit felix Algeria patrem,

Progenie Gallus, summo plaudente Leone,

Devotas Christo compellit in arma cohortes.

Cuius ut eloquio resonant sacra pulpita templis,

Arma fremit stringitque simul vibratque inventus,

Itque per attonitas belli cita tessera gentes.

Quid, quod et ornatus certat dimittere mater

Cultaque virgo suos, auro fornace recocto,

Ne iusta validae careant mercede phalanges.

En ego vaticinor venturi haud inscius aevi,

Vana nec ignarum veri praesagia fallunt 1.

Foedera concordes longo post tempore iungunt

Germanus Gallusque ferox : non invidet orsis

Austria magnanimis vires, acerque Batavus

Invictam Arctoo deducit litore classem.

Ipsa morae impatiens rumpit retinacula navis,

Assiduo subter quam spira volumine trudit,

Immanemque rapit terebrata per aequora molem.

His Italum fines, his addit lberia robur,

Nec claris Nerei regina Britannia coeptis

Invidet, aut tellus investigata Columbo,

Sponte sua fuscis quae dempsit vincula servis ;

Et jam militiae quotquot dare nomina gaudent,

Conveniunt, alacrique replent examine portus.

    O mihi praeclaram ni desidiosa senectus

Invideat laudem, coeptis dum fortibus obstat,

Quam libeat vestri pars quaecumque esse laboris,

Invicti invenes, orbis quos vota sequuntur !

Aversus qua monstrat iter per caerula magnes,

Ite bonis avibus, coelo gratissima pubes,

Fratribus auxilium nigris, infanda furenti

Cladem Arabi laetosque cruci paritura triumphos.

Vos quoque nunc tandem valido tutamine freti

Ite sacerdotes, superus quos ignis adurit,

Perque plagas Libyae divini semina verbi

Spargite felices operum, lymphaque salubri,

Ternum unumque simul numen valido ore vocantes,

Eluite antiquae penitus vestigia fraudis.

    At tibi, magne Leo, sacri pie pastor ovilis,

Qui Vaticano populis de carcere leges

Fers aequas, Italoque licet spoliatue ab hoste,

Collata stipe non dubitae soccurrere captis,

Attonita aeternas persolvant saecula grates.

Nulla manent etiam laudum si praemia vatem,

Grande tulisse tuum satis est ad sidera nomen.

 

 

1. Exaratum est hoc carmen quum, incitante Illustrissimo et Reverendissimo Cardinali Lavigerio Christianus orbis in praedones Arabas arma capere velle videbatur. Qui si interim subsedit paulum impetus, nondum ideo communis incepti spes omnino excidit.

 

 

Paru dans la Revue de la Suisse catholique en 1890.

 

 

 

 

 

 

 

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