Jamais tel amour...

 

 

Jamais tel amour sur terre ne fut trouvé,

Jamais tel amour on n’entendit raconter,

Jamais tel amour ne perça un cœur,

Jamais tel amour ici-bas n’apparut :

Que le beau deviendrait tel que rien et que Dieu deviendrait limon !

Pour un vase fragile et sale et pécheur, un vase hors prix !

 

Ô extraordinaire amour ! notre Père devient notre Frère.

Ô extraordinaire amour ! sa Fille devient sa Mère.

Ô extraordinaire amour ! du sein même de son Père,

Il descend payer la dette de ceux qui le trahirent :

L’éternité vient dans le temps ; le Créateur devient créature ;

Le Verbe devient chair ; Dieu devient un enfant ; et tout cela par amour pur.

 

Ô heureuse Bethléem, qui étais à cet effet choisie,

Ô heureuse petite étable où Christ vint au monde,

Heureuse crèche qui put porter Christ,

Heureux yeux qui l’y virent couché.

Heureuse est-elle par-dessus tout la belle violette

Qui accoucha là sans douleur de Jésus de Nazareth.

 

Mais bon Jésus, ô petit grand Seigneur,

Comment votre force est-elle maintenant devenue si faible ?

Comment votre sagesse est-elle devenue maintenant si muette ?

Comment roi êtes-vous si pauvre et tout à fait nu ?

Est-ce pour nos péchés, Seigneur, que si grand vous êtes devenu petit !

– Oui, assurément. C’est pourquoi, homme, garde-toi pur de péché.

 

Aucun de mes péchés je me veux conserver,

Et dorénavant je veux prendre modèle sur Jésus.

Je vous remets, Seigneur Jésus, tous mes sens ;

Hors vous, Seigneur, je ne veux pas aimer.

Venez donc, Jésus, bon frère, et veuillez ne pas me mépriser ;

Le feu du ciel me remplit tout à fait, il dévore toutes mes forces.

 

Dur est le marbre, dure est une plaque de fer,

Durs sont les tombeaux et les pavés des rues ;

Froide est la glace et la peau de la salamandre ;

Je connais chose plus froide encore et plus dure :

Plus froides et plus dures, j’estime ces personnes,

Qui pour tel amour de Dieu ne manifestent nul amour en retour.

 

 

 

Poésie en vieux-flamand recueillie en 1621 à Anvers.

 

Parue dans Le Spectateur catholique en décembre 1897.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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