La mère chrétienne
Le triomphe de la vertu est dans la faiblesse.
ÉCRITURE-SAINTE.
Il dormait, mollement étendu sur sa couche,
Le doux pavot des nuits avait fermé ses yeux,
Et folâtre et rêveur voltigeait sur sa bouche
De l’innocence en paix le ris mystérieux.
Et des songes divins descendaient dans son âme,
De plaisir on voyait son front pur rayonner.
Aux spectacles du ciel sur ses ailes de flamme
Sans doute son bon ange avait dû l’entraîner.
J’étais à ses côtés, cher enfant, moi, sa mère,
Et d’un œil attentif j’épiais mon trésor,
Je retenais mon souffle, et ma lèvre légère
Tendrement le baisait, et le baisait encor.
Mais, je ne sais pourquoi dans mon âme attendrie,
En le voyant si beau, si calme, si content,
Je me sentis, soudain, prise de rêverie,
Et des pleurs, de mes yeux, tombèrent lentement.
Je pensais : « Si de Dieu la volonté sacrée
» M’enlevait mon trésor, mon amour, mon enfant,
» Si glacée et livide une forme adorée
» N’offrait plus qu’un cadavre à mon embrassement.
» Si le rameau fleuri qui naissait de ma tige
» Se brisait, emportant mes rêves accomplis,
» Et si, forte et soumise à Dieu quand il afflige,
» Il fallait vivre encor ayant perdu mon fils !! »
Et tombant à genoux, j’arrosai de mes larmes
Mon ange réveillé qui se mit à pleurer ;
Le prenant dans mes bras, j’apaisai ses alarmes,
Je souris. Contre moi, je le vis se serrer.
Et toute émue encor, et d’amour et de crainte,
Dévorant du regard cet être si charmant,
Le pressant sur mon cœur d’une fiévreuse étreinte,
À la Reine du Ciel je dis, en l’invoquant :
« Douce Vierge ! ô Marie, ô modèle des mères
» Vous dont le cœur si pur connut tant de douleurs,
» Si Dieu veut m’abreuver à ses sources amères,
» Donnez-moi la vertu pour essuyer mes pleurs !
» On dit qu’en caressant le fruit de vos entrailles
» Quelque peu de tristesse était dans votre amour.
» Vous regardiez au loin les sombres funérailles
» Que tout un peuple ingrat devait lui faire un jour.
» Votre cœur s’épurait au feu de la souffrance
» Et de Jésus ouvrant le lugubre tombeau
» Il s’arrêtait timide, en son ardeur immense,
» Sachant que vers son Père irait l’Adam nouveau !
» Que j’aime mon enfant avec quelque tristesse !
» Si mon regard borné ne voit point l’avenir,
» Je vois que la douleur sous tous nos pas se presse,
» Qu’elle peut dans sa fleur, le frapper, le flétrir.
» Que j’aime mon enfant, avec calme, sagesse !
» Un enfant, c’est un don qui nous tombe du Ciel,
» Mais que toujours mon cœur, loin d’une folle ivresse,
» Sache se souvenir qu’il est à l’Éternel !
» Douce Vierge ! ô Marie ! ô modèle des mères,
» Vous dont le cœur si pur connut tant de douleurs,
» Si Dieu veut m’abreuver à ses sources amères,
» Donnez-moi la vertu pour essuyer mes pleurs ! »
J. P.
Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.