À M. F.-E. A.

 

 

                                                  Poète chante encore !

                                                          BALLANCHE.

 

 

Nouveau Moïse, armé d’un terrible tonnerre,

Descendant du Sina les sublimes hauteurs,

Vous avez foudroyé, plein de sainte colère,

Le veau d’or de nos jours et ses adorateurs.

À ce siècle insensé vous avez dit en face

Que, malgré son progrès, il marchait au tombeau

Et, vous n’avez pas craint, méprisant sa menace,

D’éclairer sa laideur d’un lugubre flambeau.

 

Le Doute et l’Égoïsme ont, d’une immense plaie,

Rongé ce siècle vain qui paraît vivre encor.

Partout, c’est un cadavre à traîner sur la claie,

Butin qu’on abandonne en pâture à la mort.

Dans son linceul Lazare est étendu sans vie.

Et quel autre que Dieu peut le ressusciter ?

Mais de Dieu, savons-nous si la parole amie

Au réveil, doucement, viendra pour l’exciter ?

 

Et vous-même, ô poète, âme chaste et sublime,

Pouvez-vous espérer d’arriver jusqu’à lui ?

L’éclair de vos regards plongeant dans son abîme

Pourra-t-il l’arracher aux horreurs de la nuit ?

Votre souffle aussi fort que celui du prophète

Pourrait-il, opérant un prodige enchanteur,

Ranimer tout-à-coup son horrible squelette

Et lui rendre ses chairs, sa beauté, sa vigueur ?

 

Non ! non ! vous l’avez dit répétant ses paroles :

« Le poète n’a plus sa vieille mission.

» Il est passé le temps des fleurs et des symboles,

» On n’endort plus un peuple au bruit d’une chanson.

» Tout a grandi, changeant la face de la terre.

» Le rêve est une injure à la réalité,

» Et du progrès nouveau l’essor humanitaire

» Condamne le poète et son oisiveté. »

 

Mais quel que soit le sort que le ciel lui prépare

Qu’il lui pardonne en père, ou le frappe en vengeur !

Poète ! de vos chants, ne soyez point avare.

Laissez-nous savourer leur charme et leur vigueur.

Chantez ! il est encor des justes sur la terre

Qui n’ont point d’un dieu vil encensé les autels !

Chantez ! il est encor plus d’un cœur noble, austère,

Pour comprendre et bénir vos accents immortels.

 

 

 

J. P.

 

Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.

 

 

 

 

 

 

 

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