La Vierge grise
À ma grand’mère.
Tout au fond de la vieille église
Aux clairs vitraux moyenâgeux,
Où parfois, le soleil s’irise,
En longs dessins roses et bleus,
Tout près du grand autel, où prie
L’homme dans sa course arrêté,
Se trouve une Vierge Marie,
Simple morceau de bois sculpté.
Ah ! ce n’est pas la Vierge rose
Aux doigts minces, aux grands yeux bleus,
Avec – formant apothéose –
Le soleil sur ses blonds cheveux !
Sa robe n’est qu’en mousseline,
Sans dentelles ni franges d’or ;
Ses mains, jointes sur sa poitrine,
Ne renferment point de trésor...
Non ; l’artiste, de foi profonde,
– Ce devait être un apprenti, –
A fait sa bouche un peu trop ronde
Et son nez un peu trop petit.
Elle est loin d’être œuvre parfaite,
Le mécréant peut s’en moquer ;
Pourtant, certains courbent leur tête,
Las et tristes pour l’invoquer !
Car, depuis de longues années,
Sur le socle blanc de l’autel,
La Vierge aux tempes couronnées
Tient son doigt levé vers le ciel...
... Tout au fond de la vieille église
Aux clairs vitraux moyenâgeux.
Plus qu’une autre, la Vierge grise
Semble écouter les malheureux...
Lionel ANSTORG.
Paru dans Les Annales politiques et littéraires en 1908.