Invocation
De profundis clamavi
Ad te, Domine, et exaudi
Orationem meam.
Immensité sans borne, Océan sans rivages,
Par de là tous les cieux, par de là tous les âges,
De tout être vivant fin, principe et milieu,
Éternel, incréé, seul, immuable.... Dieu !
C’est toi seul, qu’à genoux, le front dans la poussière,
Abîmé sous tes flots de céleste lumière,
Replié dans mon cœur, étouffant sous ma main
Tout ce qui bat encor de mortel et d’humain....
C’est toi seul, ô mon Dieu, que j’ose en ma misère,
Comme un fils repentant vient implorer son père,
Des larmes dans la voix, des larmes dans les yeux,
Implorer à genoux, mon Père dans les cieux !
J’ai passé par le monde,
Qui, de sa boue immonde
De ma blanche tunique a terni la fraîcheur :
Puis la pauvreté, mère
De tout vice sur terre,
En sillonnant mon corps a déchiré mon cœur.
Dans cette nuit obscure
Errant à l’aventure
J’ai senti de la foi vaciller le flambeau ;
Et repliant mes voiles,
Sous un ciel sans étoiles,
J’appelle de mes vœux l’éclat d’un jour nouveau :
Pourtant, qu’ils étaient doux les chants de mon enfance ;
Tout y parlait d’amour ; tout disait : espérance.
Ma voix, écho lointain affaibli par les airs,
Balbutiait le nom, qu’en leurs divins concerts,
Lentement balancé sur des notes étranges,
30 Font retentir aux cieux les cohortes d’archanges.
La nature à mes yeux découvrait ses trésors :
Et m’expliquant ses lois, m’indiquant les ressorts
Par lesquels tout se meut, tout vit, tout doit renaître
Après avoir vécu...m’apprenait à connaître
Comme éternel principe, et souverain moteur,
Dans chaque être créé le doigt du créateur.
Heureux temps, où mon âme
Vers toute noble flamme,
Suivant l’instinct du vrai, l’ardent amour du beau,
S’élançait emportée
Par la douce pensée
Que quelque chose encor doit survivre au tombeau !
Dans cette sainte ivresse
J’avais alors sans cesse,
Avant que le bonheur m’eût dit un long adieu,
Un accord sur ma lyre,
Sur ma bouche un sourire,
Un baiser pour ma mère, une prière à Dieu.
Heureux temps ! aujourd’hui, sur des plages lointaines,
Je n’ai plus qu’au milieu des lueurs incertaines
Qui d’un pâle reflet colorent l’avenir,
De mes beaux jours passés le poignant souvenir,
Et quand, dans le désert de mon cœur, j’ose encore
Interroger du doigt quelque note sonore,
Vagues soupirs d’amour modulés autrefois,
Et qui, comme un parfum, montaient avec ma voix....
Ce n’est plus qu’une rude et sauvage harmonie,
Un cri de désespoir, un râle d’agonie,
Semblable au grincement échappé de l’enfer,
D’une corde de fer sous un archet de fer.
C’est ainsi qu’en un rêve
Le cauchemar soulève.
Comme le vent les flots, votre sein agité ;
Et sous sa main puissante
Votre chair palpitante
S’épuise, lutte et tombe après avoir lutté :
Ainsi je vis ma vie
Désolée et flétrie ;
Et pour reconquérir des jours qui ne sont plus,
Ainsi je lutte et tombe
Épuisé dans la tombe,
Où j’ai perdu la foi, seul trésor des élus.
Ô Dieu ! Dieu de bonté ! Providence infinie !
Toi, qui répands d’en haut la grâce avec la vie !
Dont le nom est amour, dont l’amour est la loi,
Daigne rouvrir ton cœur au cœur qui vient à toi !
Soit souvenir d’un monde où nous vivions peut-être,
Ou soit pressentiment d’un jour qui nous doit naître,
Traits gravés qu’en son cœur l’homme apporte en naissant,
80 Tendance à l’infini, saints désirs... qu’en passant
Dans mon sein le malheur effleura de son aile ;...
Tous ces gages certains d’une vie éternelle
Qu’il est si doux de croire, et qu’aimer est si doux,
Oh, rends-les-moi, Seigneur ! je t’en prie à genoux !
Quand le sombre nuage,
Qu’avait grossi l’orage,
En s’effaçant du ciel a fait place à l’azur ;
La nature se lève
Forte avec plus de sève,
L’oiseau des chants plus doux, l’air un parfum plus pur.
Ainsi quand dans mon âme
Ta vivifiante flamme
Seigneur, aura chassé tout penser ténébreux,
Ma voix plus assurée,
Dans sa langue sacrée,
Chantera.... Dieu partout, Jéhovah dans les cieux.
Cl. ARBAN, Montréal, octobre 1838.
Paru dans Le Populaire en 1838.
Recueilli dans Les textes poétiques du Canada français,
vol. IV, Fides, 1991.