Méditation

 

 

                                            Truditur dies die,

                                            Novæque-pergunt interire lunæ.

                                                                HORAT. CARM.

 

 

De l’arbre de la vie une feuille qui tombe,

Un berceau qui s’élève où s’entrouvre une tombe,

Un flot par le courant à la mer apporté,

Qui conduit l’homme à Dieu, l’âge à l’éternité...

Telle est la loi du Temps : loi fixe, impérissable,

Qui jette, en les comptant, comme des grains de sable,

Des jours après des jours dans l’abîme sans fond,

Où tout fatalement se mêle et se confond.

 

En vain, quand près de lui tombe tout ce qu’il aime,

L’homme s’use à creuser l’insoluble problème

Que chaque être vivant porte en lui-même écrit :

En vain, au cercle étroit qui lui fut circonscrit,

Seul il s’épuise à suivre en leurs métamorphoses

Les changements divers que subissent les choses ;

La loi qui fait survivre à la destruction

Les éléments premiers de la création ;

À mesurer l’espace incalculable, immense,

Qui joint l’œuvre complet à l’œuvre qui commence,

Et si l’être, fini dans son infinité,

Doit par la mort atteindre à l’immortalité...

Inutiles efforts ! tout change, se succède ;

Et lui-même, au milieu du souci qui l’obsède,

D’un présent qu’il n’a pas ; d’un passé qu’il n’a plus,

Forme pour l’avenir des souhaits superflus.

Son âme de science et de bonheur avide

Cherche, comme un pendule oscillant dans le vide,

Un repos qui la fuit, et qu’elle ne doit pas,

En dépouillant sa forme, obtenir au trépas.

Mais qu’importe à la feuille où le vent la promène,

À l’homme où doit aller son enveloppe humaine,

À l’écume des flots où le flot la conduit... ?

Si rien ne fut créé, rien ne sera détruit.

 

Ô bienheureux celui dont ces inquiétudes

Ne viennent point troubler les calmes habitudes,

Qui satisfait de vivre, et trouvant tout parfait,

Sans comprendre le monde adore qui l’a fait !

Pour lui la vie est douce, et s’envole en silence

Dans une monotone et paisible indolence :

Comme un bienfait de plus saluant chaque jour,

Du bonheur de la veille il attend le retour ;

Et si parfois le ciel, sous un sombre nuage,

Ne se montre à ses yeux qu’aux clartés de l’orage,

Si la foudre en éclats parcourt la nue en feu,

Si l’univers s’émeut... Lui, plein d’espoir en Dieu,

Plaçant dans son amour sa confiance entière,

Par l’orage bercé s’endort dans la prière.

Heureux, ô bien heureux ! dans son calme profond,

Il regarde en pitié les malheureux qui vont

Sur l’Océan du monde, exposés sans boussole,

Sans une voix d’ami qui pleure et qui console,

Livrer aveuglement, imprudents matelots,

Leur âme à tous les vents, leur vie à tous les flots,

Et rongés de remords, épuisés par l’envie,

Vivre en quelques instants leurs quelques jours de vie.

 

Car soit Dieu, le Hasard ou la Fatalité, –

Quelque nom que l’on donne à cette Volonté

Qui, semblable au vautour déployant sa grande aile,

Entoure l’univers dans son ombre éternelle,

De ses ongles sanglants le mord, et le contraint

De prier à genoux la serre qui l’étreint ; –

Une main inconnue a sillonné la trace

De deux sentiers divers, par où l’humaine race,

Comme on voit des agneaux l’un après l’un bêlants,

Se traîne pas à pas, depuis bien des mille ans.

Prodigue pour les uns, pour les autres avare,

Sans lois et ne suivant qu’un caprice bizarre

Elle se ferme, s’ouvre et dispense à loisir,

Tous les jours son tribut de peine et de plaisir.

Il est bien peu d’élus : toujours le plus grand nombre

Sont ceux qui n’ont, cachés au plus épais de l’ombre,

Trop craintifs ou trop fiers pour vouloir l’implorer,

Qu’une voix pour gémir et des yeux pour pleurer.......

 

Toutefois, se traîner dans la fange pour suivre

L’un ou l’autre sentier, cela s’appelle vivre !

Lorsque près de finir l’année agonisait,

Et que d’un nouvel an déjà l’aube luisait ;

À cette heure incertaine, où vient, dans le mystère,

Mourir le dernier bruit émané de la terre,

Où seul l’Univers parle, et de sa grande voix

Jette à qui la comprend et le doute et l’effroi ;

Tels étaient, aux reflets d’une clarté douteuse,

Les sceptiques pensers dont mon âme rêveuse

Aimait, comme autre fois dans le repos des nuits,

À bercer sa douleur et ses trop longs ennuis.

 

 

 

Cl. ARBAN, Montréal, décembre 1838.

 

Paru dans L’Ami du Peuple, de l’Ordre et des Lois en 1838.

 

Recueilli dans Les textes poétiques du Canada français,

vol. IV, Fides, 1991.

 

 

 

 

 

 

 

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