La mer
Je te salue, ô mer ! je te salue et t’aime !
Après huit ans passés loin de tes bords chéris,
Je viens et te retrouve ; ô toi toujours la même !
Non, tu n’es pas changée et mes regards ravis
Sur ta nappe d’azur cherchent encor la route
Que creusait le vaisseau sur tes vagues, ô mer !
Je te vois, je te sens, et, joyeuse, j’écoute
Tes mille bruits dans l’air !
Oh ! mais ta voix non plus n’a point changé ! c’est elle
Qui berça mon enfance et me parlait tout bas
De mondes inconnus, où sous une blanche aile,
Nous donnons à l’ami ravi par le trépas,
Un long baiser de sœur ! ô mer ! ton bruit sauvage
M’apporte les accents de ceux qui ne sont plus,
Comme de la cité le vent porte au rivage
Les chants, les bruits confus.
Et, n’as-tu point, passant sous la cité céleste,
Recueilli ces accents que tu viens m’apporter ?
Messagère de Dieu, près de l’enfant qui reste,
Sur la terre d’exil, tu lui viens répéter
Qu’il doit trouver un jour, au-delà des nuages,
Une patrie enfin, où la sainte amitié,
L’amour qu’il a rêvé ne reçoit point d’outrages
De ce temps sans pitié.
Car hélas ! ici-bas les âmes changent vite !
On s’aime, on se le dit, – puis on part, l’on revient
Au bout de quelques ans ; – comme le cœur palpite,
En approchant on dit : sans doute il se souvient !
On la revoit enfin !... l’on attend de la joie,
Des transports : non, l’absence et le temps...– Oh ! ce temps
Qui construit dans un cœur et qui dans l’autre broie
Tant de doux sentiments !
Revoir ! mon Dieu ! revoir est une affreuse chose !
Sentir son cœur glacé sous un regard poli,
Froid, comme un froid poignard, – et sa lèvre qui n’ose
Balbutier un son, sentir son front pâli,
Des larmes dans les yeux, et sous quelque sourire
Cacher ce que l’on souffre ; ô mon Dieu, c’est affreux !
Mais qui peut désirer de revoir ?... quel délire !
L’absence vaut bien mieux !
Et pourtant aujourd’hui, mer, si ma voix réclame
Et ta brise adorée, et les balancements
Qu’éprouve le navire au sommet de ta lame ;
Si mon cœur, à l’aspect de ces noirs bâtiments
Qui dorment sur ton sein, bondit d’impatience,
Les presse de ses vœux, si tressaillant d’espoir,
Je reviens sur tes bords, si je quitte la France,
N’est-ce pas pour revoir !
Oh ! pourquoi donc des pleurs ! – Je te salue et t’aime
Mon Océan chéri, toi, mon premier amour !
S’ils ont changé là bas, toi n’es-tu pas le même !
Ah ! sur tes bords encor je viendrai chaque jour
Chercher des souvenirs, une douce espérance ;
Je viendrai sur tes flots me bercer sans effroi,
Et saurai, compagnon chéri de mon enfance,
Vivre et n’aimer que toi.
Louise ARBEY.
Paru dans les Annales romantiques en 1835.