Le semeur
I
Le semeur s’avance à pas lents
Sur la glèbe enfin reposée.
– Il monte des parfums troublants
Des sillons trempés de rosée...
– Et le semeur jette aux sillons
Depuis la fraîcheur de l’aurore
Le grain que de ses chauds rayons
Le grand soleil doit faire éclore.
De ce grain rien ne germera
Que par la volonté qui préside au mystère :
Le semeur ne récoltera
Que si Dieu veut bénir la terre.
II
Le soleil monte à l’horizon,
Dans l’azur lourd il étincelle.
– Il faut semer, c’est la saison :
Et malgré que son front ruisselle,
Le semeur va du même pas,
Jette son grain du même geste :
Après lui ne faudra-t-il pas
Que la terre fasse le reste ?
Mais la terre ne fera rien
Sans le pouvoir sacré qui pour nous est mystère,
Et le blé ne poussera bien
Que si Dieu veut bénir la terre !
III
Voici que l’étoile du soir
À l’Occident déjà scintille,
Et le semeur, las, vient s’asseoir,
Devant la table de famille.
Ce fils du sol peut sans faiblir
Accomplir des tâches plus dures :
Car d’avance il voit resplendir
Les champs d’or des moissons futures...
Ô semeur ! sache que ton blé
N’accomplira pas seul son œuvre de mystère :
Mais de biens tu seras comblé
Si Dieu veut bien bénir la terre.
ARMOR.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.