La musique

 

 

                                            1

 

Je le crois, je le sais, la musique est divine.

Langue instinctive et forte aux fluides accents,

Elle pénètre en nous en ébranlant nos sens,

Et chacun la comprend ou du moins la devine.

 

Lorsque autour de mon front, que la douleur incline,

Elle roule ses flots sonores et puissants,

Mon être tout entier s’exalte, et je pressens

Ce monde harmonieux où l’idéal domine.

 

Mais je veux secouer ses dangereux appas.

Sœur de la poésie, elle ne la vaut pas ;

Elle engendre le rêve en tuant la pensée ;

 

Et l’âme qu’elle enchaîne, oubliant tout effort,

De sons voluptueux avec amour bercée,

S’abandonne elle-même et lâchement s’endort.

 

 

                                            2

 

Ah ! si l’homme vivait ainsi qu’il devrait vivre,

Se nourrissant de paix et d’immortel espoir,

Pressentant par instinct, acceptant par devoirs,

Le but qu’il faut atteindre et la loi qu’il faut suivre ;

 

Si de ses passions, dont la mort le délivre,

Il osait s’affranchir par un mâle vouloir ;

Si, pour n’y point tremper sa lèvre, il laissait choir

Le vin de volupté qui le trouble et l’enivre !

 

Il n’aurait pas besoin d’un langage plus clair ;

Les sons pourraient vibrer, doux ou puissants, dans l’air,

Limpide expression de l’âme à l’âme unie ;

 

Et tous ses sentiments, sous l’œil brillant du jour,

Libres, s’épancheraient dans la seule harmonie,

Heureux, se confondraient en un seul mot : Amour.

 

 

                                            3

 

Mais des êtres souffrant d’une ardeur maladive,

D’un mol et vague ennui qu’ils ne peuvent chasser,

Mais des hommes oisifs, qui vivent sans penser,

Plongeant dans tout bourbier leur bassesse native ;

 

Mais des peuples déchus, que le plaisir captive,

Incapables d’efforts, sinon pour s’abaisser,

Vouloir les affaiblir encor et leur verser

Ces poisons délicats, cette langueur lascive !

 

Non, ô musique, non, je n’y puis consentir !

Et lorsque tu n’es pas, faite pour retentir,

Le chant fier et hardi qui venge la patrie,

 

Ou l’hymne pur et saint inspiré par la foi,

L’hymne religieux qui console et qui prie,

Je bouche mes oreilles et m’enfuis loin de toi.

 

                                                         Paris, 15 mai 1860.

 

 

Edmond ARNOULD, Sonnets et poèmes, 1861.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net