Le progrès

 

 

                                          1

 

Si tout homme qui croit à l’avenir du monde

Dans l’ordre évangélique et dans la liberté,

Au lieu de ces discours gonflés de vanité,

De ces grands mots bruyants dont chaque bouche abonde,

 

Se mettait, le cœur plein de charité profonde,

À soulager sans bruit la triste humanité,

Prouvant aux yeux de tous sa foi par sa bonté,

Et montrant par les faits combien elle est féconde ;

 

Si tout homme qui tremble en songeant à demain,

Pour abriter son toit, sinon pour être humain,

À ce peuple en haillons qui de terreur le glace,

 

À ces mornes enfants qui croissent dans l’égout,

Se hâtait au soleil d’assurer une place,

Afin que de la fange ils prissent le dégoût ;

 

 

                                          2

 

Si, pour faire germer les fruits de la parole,

Étouffer la misère et le vice ignorant,

Guérir la faim, ulcère impur et dévorant,

Ouvrir à deux battants les portes de l’école ;

 

Si, pour ces malheureux dont l’aspect nous désole,

Dont l’immense troupeau passe hâve et souffrant,

Chacun de nous enfin, riche ou pauvre, humble ou grand,

Charitable ou craintif, apportait son obole ;

 

Croit-on que tous ces soins, ces vouloirs, ces efforts,

Réunis, et par là plus sacrés et plus forts,

Croit-on que tous ces dons du cœur et du génie,

 

Que tous ces dévoûments l’un par l’autre exaltés,

Ne feraient pas fleurir une large harmonie,

Où les mauvais instincts disparaîtraient domptés ?

 

 

                                          3

 

Quand on construit un temple, et de peur qu’il n’écrase

Le peuple adorateur avec l’autel du dieu,

On taille chaque pierre, on la met en son lieu :

Avant d’orner le faîte, on affermit la base.

 

Ces arceaux, arrondis comme l’anse d’un vase,

Avec un art savant on soutient leur milieu,

Où monteront plus tard, pour atteindre au ciel bleu,

Les chants de la prière et les vœux de l’extase.

 

On sait que, sans ces blocs qui se cachent en bas,

La flèche hardiment ne s’élancerait pas ;

On sait qu’autant vaudront tous les détails de l’œuvre,

 

Autant dans son entier l’édifice vaudra ;

Que, pour le but final, le plus simple manœuvre

A sa tâche à remplir, et qu’il la remplira.

 

 

                                          4

 

Mais sitôt qu’il s’agit de ce vaste édifice,

Notre premier abri, notre commun séjour,

Pourquoi nul d’entre nous ne veut-il à son tour

Accepter pour autrui la loi du sacrifice ?

 

Pourquoi de nos terreurs nous faire un long supplice ?

Pourquoi tant de courroux contre les maux du jour,

Si ces armes de Dieu : la justice et l’amour,

Nous leur substituons la haine et l’injustice ?

 

Ne jetons plus nos cris à tous les vents de l’air ;

N’invoquons plus sans cesse ou le ciel ou l’enfer ;

Purifions nos cœurs, sans maudire les autres.

 

Nous pourrons d’autant plus que nous serons plus doux.

Souvenons-nous du Christ et de ses saints apôtres ;

Ils ont conquis le monde en disant : Aimez-vous !

 

                                                                                 1849.

 

 

Edmond ARNOULD, Sonnets et poèmes, 1861.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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