Normandie
Je reviens donc en plein pays normand !
Là, je reprends des forces dans l’herbage.
Les jeunes veaux, me croyant de leur âge,
M’ont salué d’un joyeux beuglement ;
Et c’est, dans l’air, une brise attiédie
Que tamisa la branche du pommier.
La vigne peut perdre son rang premier :
La pomme, non, n’est pas abâtardie !
Là, doucement, un renouveau vainqueur
Y rajeunit les hommes et les choses ;
La force vraie a ses apothéoses
Au fond du corps, ainsi qu’au fond du cœur.
Dans ce concert, ma Muse dégourdie
A ravivé son intime ressort ;
Petit Bonhomme, allons, n’était point mort :
La pomme, non, n’est pas abâtardie !
Quel sentiment m’étreint donc au milieu
De ces ferments, ces senteurs enivrantes ?
Sous un soleil aux clartés fulgurantes,
La terre même est un fragment de Dieu.
C’est qu’elle est belle, aussi, ma Normandie,
Et son tréfonds est gras jusqu’au noyau :
Tant que la France au doigt a ce joyau,
La pomme, non, n’est pas abâtardie !
Émile ASSE.
Paru dans L’Année des poètes en 1897.