L’hiver

 

 

Mes volages humeurs, plus stériles que belles,

S’en vont, et je leur dis : vous sentez, hirondelles,

S’éloigner la chaleur et le froid arriver,

Allez nicher ailleurs, pour ne fâcher, impures,

Ma couche de babil, et ma table d’ordures :

Laissez dormir en paix la nuit de mon hiver.

 

D’un seul point le soleil n’éloigne l’hémisphère,

Il jette moins d’ardeur, mais autant de lumière.

Je change sans regrets lorsque je me repens

Des frivoles amours et de leur artifice.

J’aime l’hiver, qui vient purger mon cœur de vice,

Comme de peste l’air, la terre de serpents.

 

Mon chef blanchit dessous les neiges entassées,

Le soleil qui me luit les échauffe glacées,

Mais ne les peut dissoudre au plus court de ces mois.

Fondez, neiges, venez dessus mon cœur descendre,

Qu’encores il ne puisse allumer de sa cendre

Du brasier, comme il fit des flammes autrefois.

 

Mais quoi, serai-je éteint devant ma vie éteinte ?

Ne luira plus en moi la flamme vive et sainte,

Le zèle flamboyant de la sainte maison ?

Je fais aux saints autels holocauste des restes,

De glace aux feux impurs, et de naphte aux célestes,

Clair et sacré flambeau, non funèbre tison.

 

Voici moins de plaisirs, mais voici moins de peines :

Le rossignol se tait, se taisent les sirènes ;

Nous ne voyons cueillir ni les fruits, ni les fleurs ;

L’espérance n’est plus bien souvent tromperesse,

L’hiver jouit de tout, bienheureuse vieillesse,

La saison de l’usage et non plus des labeurs.

 

Mais la mort n’est pas loin : cette mort est suivie

D’un vivre sans mourir, fin d’une fausse vie ;

Vie de notre vie, et mort de notre mort.

Qui hait la sûreté pour aimer le naufrage ?

Qui a jamais été si friand de voyage,

Que la longueur en soit plus douce que le port ?

 

 

 

Agrippa d’AUBIGNÉ.

 

 

Recueilli dans La poésie mystique,

Jean Mambrino, Seghers, 1973.

 

 

 

 

 

 

 

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