Oraison sur une petite statue
La petite Vierge en plâtre au fond de sa niche
Reçoit le vent du large au coin d’une maison
Mauvaise, où vont le soir ceux qui ne sont pas riches,
Avant d’embarquer. Pour Elle, nulle raison
De se détourner d’eux. Elle voit dans les flots
Dans les cœurs, dans les mains, de toutes les manières.
Et cette rue aussi à jamais (c’est son lot)
Ramenant les marins tristes aux baleinières.
Eux, ne l’ont jamais vue : il fout lever la tête
Pour découvrir le sombre gîte où on l’a mise.
Les fronts se courbent que bat souvent la tempête...
Elle, se tient droite pour affronter la bise.
Mais qu’il est donc pénible d’être une statue
À même le granit et près d’un mauvais lieu
Lorsque tout ce qui blesse les hommes vous tue
Parce qu’on se connaît pour la Mère de Dieu...
Et qui voudrait pourtant vous délivrer, colombe
Prise par votre amour au piège du rocher
Tandis que vos ailes palpitent outre-tombe
Ou plutôt, corail blanc par soi-même accroché
Au récif en péril, qui oserait vous prendre
À cet autel amer, comme vous consacré
À la garde des mers, où vous venez attendre,
Pilote vigilant des vaisseaux désancrés
Que reviennent le mousse et le vieux capitaine,
Et l’albatros ayant avec eux voyagé,
Tous ceux qui ont, l’hiver, harponné la baleine,
Et le bateau corsaire, avec les naufragés...
Quand sur l’océan vide les chevaux d’écume
Poursuivront, seuls, une course inutile et blême,
Vous abattrez d’un geste leur pâle amertume,
Et, pour bien témoigner que ce soir est suprême,
Lissant la mer comme un tissu que Dieu parfume
Vous descendrez du roc et la plierez Vous-même.
Alliette AUDRA.
Paru dans Marie en septembre-octobre 1953.