Alors que fatigué
Alors que fatigué d’une marche brûlante,
Le voyageur s’assied sur le bord d’un fossé,
Il ne détourne pas son regard vers la pente
Ou le sentier pierreux où son pied a glissé.
Il promène en avant ses yeux vers la campagne,
Et lorsqu’à l’horizon il voit poindre un clocher,
Ou les troupeaux paissant au flanc de la montagne
Il reprend son bâton et se met à marcher.
Son pied, meurtri naguère aux cailloux de la route,
A repris sa puissance et son agilité,
Et de son front brûlé par l’ardeur de la voûte
La lassitude a fui pour la sérénité.
Qu’importe alors pour lui qu’au matin du voyage
La ronce et la broussaille aient entravé ses pas ?
Qu’importe le buisson qui barra son passage,
Quand il voit son toit rouge et sa maison là-bas ?
Ainsi devrions-nous, au soir de la souffrance,
Étendre sur nos maux le voile de l’oubli ;
Ainsi devrions-nous posséder la puissance
D’oublier à jamais un malheur accompli.
Qu’importe le passé ? qu’importe hier ? L’aurore
Sera-t-elle moins jeune et moins belle demain,
Parce que l’ouragan tordit le sycomore
Et joncha de débris la poudre du chemin ?
Et l’étoile qui luit au-dessus d’un cratère,
Est-elle moins brillante après le flot cendreux
Qui voila tout un soir aux regards de la terre
Les rayons argentés de son front lumineux ?
Comme un soldat blessé cherche d’abord ses armes,
Sans s’occuper du sang qui découle de lui,
Un cœur valeureux trouve, au sein de ses alarmes,
Contre des maux futurs un souverain appui.
Les forts seuls ont souffert ! C’est pour les nobles âmes,
Que sont les golgothas et les trous de la croix.
C’est dans les bras vaillants que sont les oriflammes.
Dieu l’écrivit peut-être aux tables de ses lois.
Car si des passereaux il protège la mère,
S’il mesure aux brebis la rigueur des frimas,
De l’aigle dont la foudre a fait écrouler l’aire
Il laisse les accents se perdre sur l’Atlas.
Et le lion qui fuit, emportant dans sa rage
La flèche du chasseur dans son flanc entr’ouvert,
Peut en vain de ses cris ébranler le nuage :
À son rugissement seul répond le désert.
Point de pitié pour lui, Dieu n’entend pas la plainte
De ceux dont le courage est égal au malheur ;
Il sait qu’il les marqua de sa suprême empreinte,
Il sait qu’il les a faits plus grands que la douleur.
Il sait qu’un cœur plus fort palpite en leur poitrine ;
Il sait qu’il les a faits pour des destins fâcheux,
Il sait qu’il les forgea sur l’enclume divine,
Qu’il les trempe aux rayons de ses célestes feux !
Et qui n’a pas d’ailleurs sombré dans quelqu’abîme ?
Qui n’a pas au chagrin payé sa dîme un jour ?
Qui n’a, faibles ou forts, d’une arène anonyme
Ensanglanté le sol et souffert à son tour !
Claudia BACHI.
Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1859.