La nuit étoilée
L’Hiver, si j’aime à voir ces humbles et vieux toits
Que le vent fait frémir de sa sinistre voix ;
Entendre le grésil pétiller aux fenêtres,
Voir la neige engloutir les cabanes champêtres :
Que j’aime plus courir ces champs vêtus de deuil,
Dès que l’astre du soir a paru sur le seuil
D’où s’élancent des flots d’une douce lumière,
Dont les pâles lueurs caressent la paupière :
Quand l’étoile brillante à l’éclat doux et pur,
Comme un beau diamant sur un voile d’azur,
Jette ses plus beaux feux, que sous ce ciel paisible,
J’erre silencieux, et qu’un charme invincible
Sans cesse me retient, s’empare de mon cœur,
Ou soudain me remplit d’une vague terreur !
Délicieuses nuits ! Ô campagne étoilée !
Vous astres lumineux qui peuplez l’Empyrée !
Quel langage éloquent vous parlez au mortel,
Quand vos pâles beautés à la voûte du ciel
Paraissent chaque soir pour enchanter sa vue
Qu’il se plaît d’égarer dans l’immense étendue !
Oui ! quel divin langage, au cœur silencieux,
Vous parlez chaque instant, de l’abîme des cieux !
Pour rompre son silence, ah ! ma langue glacée,
S’arrête et se refuse à rendre ma pensée !
Ces vastes champs d’azur infinis Océans :
Ces espaces sans borne, où d’instants en instants,
Sans jamais se heurter, mille globes de flamme
S’élancent tour à tour, comme on voit sur la lame,
Quand les barques du soir promènent leurs flambeaux,
S’élancer et courir en radieux réseaux
Les flottantes lueurs : – cette lune sans voiles,
Dont on voit sous les pas éclore les étoiles
Qui forment son cortège, ou couronnent son front,
Qui se berce tremblante, aux bords de l’horizon ;
Tous ces mondes errants, qui laissent sur leur trace
Mille rubans de feu qui parsèment l’espace
Qui gravitent sans cesse, et, sans cesse poussés,
Descendent pour monter par leurs premiers sentiers :
Tous ces astres muets parlent-ils ce langage
Si touchant et si vrai qui réveille l’hommage
Des cœurs même pervers sous leurs sens engourdis ?
Ou ne seraient-ils pas, pour nos yeux éblouis,
Quelques regards voilés de la Beauté suprême,
Dans ces phares des cieux, que sa main partout sème,
Réfléchis de plus près, sous les ombres des nuits ?
Tous ces feux étoilés, dont nos yeux sont ravis,
Ne seraient-ils plutôt les regards de ces anges
Qui veillent le séjour d’éternelles louanges,
Et franchissent du ciel le dôme de saphir
Qui les voilait aux yeux, à l’heure où nul soupir,
Où nul écho ne tombe et résonne à l’oreille
Que celui que le vent dans les rameaux éveille :
À l’heure où sur les monts, le long voile des nuits,
Dans les airs déroulé, laisse flotter ses plis ?
– Viennent-ils, quand partout règne alors le silence,
Et que l’hymne du soir au Dieu saint recommence,
Luire aux yeux des mortels déjà lassés du jour,
Comme de longs regards et d’espoir ou d’amour ?
Ou viennent-ils, mon Dieu ! des célestes demeures,
Nous visiter ainsi, chaque nuit à ces heures,
Pour jeter sur nos fronts quelques pâles reflets
De tes rayons divins, de ces rayons de paix
Qui pénètrent les cœurs de tes divines flammes,
Et raniment l’ardeur des languissantes âmes ?
– Est-ce pour étancher cette soif du bonheur
Que chacun ici-bas toujours cherche en son cœur ? –
Est-ce pour pénétrer et glisser par la fente
Du logis où le pauvre, hélas ! pleure en attente,
Ou, dans l’humble chaumière, apporter un flambeau
Pour veiller le malade aux portes du tombeau ?
– Oh je vois ses enfants, tout pâles de misère !...
Ils n’ont pas seulement une faible lumière,
Dans l’âtre, un peu de feu, pour veiller sa douleur !
Y glissent-ils pour eux leur mourante lueur ?
– Est-ce pour éclairer ces lugubres cachots
Réveillés jour et nuit par d’éternels sanglots,
Où se traînent, vivants, quelques pâles fantômes,
Êtres morts à la vie, et que l’on appelle hommes ?
Est-ce enfin pour guérir tant d’humains tourmentés,
Sous la dent des soucis, des remords déchirés,
Et dont le repentir, au sein de leurs alarmes,
À leur paupière humide arrache encor des larmes ?
Ah ! Qui de nous pourrait en douter un instant !
Dieu n’est-il pas partout ? Est-il jamais absent ?
Sur ces mondes épars que sa main guide et pousse,
A-t-il plus de pouvoir que sur le brin de mousse ?
Notre globe, perdu dans d’autres horizons,
Le féconde-t-il moins, de ses éternels dons,
Que ceux que son pied touche, à la céleste voûte ?
– Sur sa puissance, qui pourrait nourrir un doute ?
Si c’était toi, mon âme ! ô toi fragile Esprit,
Fleur du ciel que le souffle impur sitôt flétrit.
Toi qu’il a fait pour vivre, en l’extase ravie,
À jamais avec lui d’une immortelle vie ;
Toi plus chère à son cœur, toi plus douce à ses yeux
Que ces astres peuplant leurs millions de cieux ;
Bientôt, de tes pensers, ressentant l’égoïsme,
Et la première erreur d’un fatal scepticisme :
Devant pareils tableaux, sous tes yeux attendris,
Dans l’extase abîmé, les sens anéantis,
Ton être tout entier confesserait son crime,
S’accuserait soi-même en sondant cet abîme
Où le regard perdu dans son immensité,
Y voit écrit le sceau de son éternité,
Et sa splendeur, au front de ces sphères flottantes
Qui font pleuvoir sous lui leurs palmes éclatantes.
Non ! pour crier, mon cœur ! tu n’aurais plus de voix :
Il suffit, dirais-tu : – Je le sens, je le vois !
Ici-bas, sa bonté, sa puissance infinie !
Là-haut, sa majesté brillant dans l’harmonie !
Et, que faut-il de plus, pour sentir, croire en lui ?...
Dans ces brillants déserts, ô mon Dieu ! loin du bruit,
Oui ! si j’aime à laisser, sur son aile bercée
Comme l’un de ces feux, s’envoler ma pensée,
C’est pour sentir couler au-dedans de mon cœur,
Avec l’impression, ce calme intérieur,
Ce jour mystérieux, dont la vertu dans l’âme
En l’éclairant un peu, l’élève à Toi, l’enflamme,
Et, comme par instinct, la force d’adorer ;
C’est pour sentir en moi ce frisson passager
Qui toujours fait vibrer la corde frémissante
De ce doux instrument qui résonne et qui chante
Au-dedans de mon sein, dont le faible soupir,
Sur mes lèvres toujours, palpite et vient mourir :
C’est pour rêver aux cieux, quand mon cœur solitaire,
Sent en lui le besoin d’exhaler sa prière,
Et de te murmurer encore, de plus près,
Dans d’intimes accents, ses plus tendres secrets.
Ah ! Que ce faible accord échappé de ma lyre,
Quand, de mon cœur, l’ardeur se froidit, se retire,
Résonne toujours pur, implore, et monte à Toi
Comme monte un soupir sur l’aile de la Foi !
Maurice BAILLARGÉ,
Derniers adieux de Graziella
suivis de quelques autres poésies détachées, 1879.