Vision mystique
À Sir Wilfrid Laurier
Not only has the unseen world a reality,
but the only reality. (Carlyle.)
Le reflet de la lune au bord de l’onde claire
Paraît comme une hostie au fond d’un sanctuaire ;
L’astre épand ses rayons comme un moelleux satin,
Nappe blanche des cieux qu’un brillant séraphin
Étend sur le rivage où l’âme communie
Au mystère éternel de la paix infinie.
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Nostalgiques échos des sanglots dans les bois
Rythme plaintif du vent modulant toute voix,
Arpèges variés où l’on sent comme une âme
Sereine et palpitant, au sein de toute gamme ;
Mystique symphonie où tous les univers
Chantent à l’unisson ; comme en d’immortels vers
Le rapsode d’histoire héroïque s’inspire ;
Ô Nature où tout homme apparaît, souffre, expire,
Tes êtres n’ont qu’un jour, les rêves n’ont qu’un soir ;
Et ton livre m’apprend le sublime savoir,
À chaque page on lit : songe et mélancolie,
Et c’est de tout cela qu’est faite notre vie.
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Souvenirs d’êtres chers, longs adieux, vains espoirs,
Vous jetez sur nos fronts l’éclat mourant des soirs ;
Il faut sentir pour que toute soif se consomme
Le calice d’un Dieu sur les lèvres de l’homme ;
Comme Jésus au pied du Golgotha priant,
Et dans son agonie, accablé, suppliant,
Dans un halo sanglant contemplait l’âpre cime
Où la croix rayonnait sur le vide et le crime.
Juillet 1918.
W.-A. BAKER, Les disques d’airain, 1918.