Retour à Dieu
Voyageur d’un moment au désert de la vie,
J’ai passé, j’ai vécu l’âme pleine d’envie
Et sans un seul regard pour le monde enchanté
Qui proclame de Dieu l’éternelle bonté.
J’ai rencontré parfois, après de sombres plaines,
Des horizons pleins d’or et de clartés sereines ;
Mais en mon cœur tari leurs sublimes beautés
N’éveillaient plus, hélas ! aucunes voluptés.
Quelles voix cependant pour l’âme qui sommeille
Que ces rayons dorés ou que la fleur vermeille
Tout à coup rencontrée en un sentier ardu,
Voix chantant l’espérance au voyageur perdu !...
Si j’avais su garder, ô Dieu de mon enfance,
La foi de mes vingt ans avec mon innocence,
Je vous eusse béni pour avoir abrégé
Les ennuis de la route à mon cœur affligé...
Mais non ! Quand le bonheur comme une aube éclatante
Parmi des chants d’oiseau se levait sur ma tente,
Je réchauffais mon front à son brûlant baiser
Sans songer même à vous qui pouviez me briser !
Pourquoi faut-il, mon Dieu, qu’une chair insensée
Nous dispute toujours des lambeaux de pensée...
Pourquoi ne trouvons-nous jamais que dans le deuil
Vaine notre science et menteur notre orgueil ?
Adieu, parfums de gloire, et vous, roses fanées,
Dont j’embaumais jadis ma couche et mes années ;
Je bénis maintenant l’heure où j’ai succombé !
Je bénis mes revers, car, de si haut tombé,
Je me retrouve seul au pied de la croix sainte
Ranimant sur ma lèvre une prière éteinte,
Et, les yeux dessillés, ô mon Dieu, je rougis,
Des temps où d’autres dieux régnaient en mon logis.
Mon Dieu, je crois en vous, Maître et Seigneur du monde,
Qui fîtes le soleil comme la bête immonde !
Je crois en vous, mon Dieu, qui m’avez tout donné !
Mon Dieu, je crois en vous qui m’avez pardonné !
Je crois ! Je suis heureux comme aux jours de l’enfance.
Mon front touche au tombeau, mais je vis d’espérance,
Car vers vous, ô Seigneur, doucement emporté,
Je me sens jeune encor devant l’éternité !...
Arthur BALAND.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.