Déclaration
Moi qui, loin de vous, tristement soupire,
Que rien ne saurait distraire ou charmer,
Lorsque je vous vois je n’ose vous dire
Ces mots qui pourtant font toujours sourire :
« Voulez-vous aimer ? »
Vous me paraissez si noble et si belle
Que je sens mon cœur prompt à s’alarmer ;
J’ai peur que, pour moi, le vôtre rebelle,
Ne comprenant pas ma douleur cruelle,
Ne veuille m’aimer.
Loin du regard froid que je crains, Madame,
Comme un doux parfum venant l’embaumer,
Votre souvenir pénètre en mon âme
Et je dis, sans lire en vos yeux un blâme :
« Voulez-vous m’aimer ? »
Ne savez-vous pas qu’il n’est sur la terre
Qu’un seul sentiment qu’on n’ose nommer ?
(Amour, passion, tendre et doux mystère)
Au fond de soi-même en vain on l’enterre,
Il nous faut aimer.
C’est le souffle ardent qui donne la vie.
Qui dans la douleur vient nous ranimer,
Qui nous fait verser des pleurs qu’on envie,
Qui répand l’ivresse en l’âme ravie
Et nous fait aimer.
Pour que vous m’aimiez, que faut-il donc faire ?
Ô vous, que j’aimais entendre acclamer,
Apprenez-le-moi... Je ne puis vous taire
Que j’ignore, hélas ! le grand art de plaire,
De me faire aimer.
Mais si votre main rencontrait la mienne,
Si votre regard semblait réclamer
Un brûlant amour, je dirais : « Advienne
Ce que Dieu voudra ; ma vie est la sienne...
Et je veux l’aimer ! »
Chassant de mon cœur et crainte et tristesse,
Sentant mon esprit soudain se calmer,
Je dirais alors, montrant ma tendresse,
Brave et confiant en ma hardiesse :
« Laissez-vous aimer ! »
Berthe BALLEY.
Paru dans L’Année des poètes en 1895.