Moisson d’âmes
Jésus aimait des champs les vastes solitudes.
Avec le groupe obscur de ses bateliers rudes,
Disciples près de lui par l’amour rassemblés,
Il s’en allait, souvent, errer parmi les blés.
Cheminant dans l’or blond des moissons déjà prêtes,
Il redisait aux siens ses angoisses secrètes,
Car son œil, dans ces champs pleins de maturité,
Voyait le genre humain mûr pour la vérité !
– Amis, répétait-il alors, la plaine est grande,
Mais où trouver les bras que la moisson demande ? –
Et ses yeux, où semblait rayonner tout l’azur,
Se voilaient de beaux pleurs qui coulaient à flot pur.
Souci mystérieux, ô souffrances divines !
Mais, quand il eut courbé son doux front ceint d’épines,
Sur cette croix de bois qu’on adorait déjà,
Prêt à mourir, il dit : J’ai soif ! et tout changea.
Comme à l’août dévorant, sous les cieux sans haleines,
On voit les moissonneurs se hâter dans nos plaines.
Pendant que les grands chars font crier leur essieu,
On vit partout surgir les ouvriers de Dieu !
Pareils à nos faucheurs que la sueur inonde,
Ils coururent le champ démesuré du monde.
Apôtres et martyrs, glorieux obstinés,
Ils s’en allaient devant les Païens étonnés ;
Ils fauchèrent l’erreur et les vices infâmes,
– Et les granges du ciel, enfin, s’emplirent d’âmes !
Paul BARBIER.
Paru dans L’Année des poètes en 1892.