Premier Stabat

 

 

Je suis debout, les dents serrées,

D’âpre douleur Mère égarée,

Pilier de mon Fils qui pend.

 

De mes vieux bras reçois l’étreinte,

Poutre d’amour, poutre de crainte,

Bois planté sur le Serpent !

 

Lit adoré, maudit supplice

Où mon Fils s’offre en sacrifice

À l’Abraham éternel.

 

Quand je regarde la Victime,

Quel œil pourrait sonder l’abîme

Du désespoir maternel

 

Par qui ma chair est labourée ?

Je pousse un cri, Mère éventrée

De toi j’accouche à nouveau,

 

Enfant chéri qu’en croix j’élève.

J’ai dans le cœur un vaste glaive,

Un étau sur le cerveau.

 

Vous autres, que venez-vous faire ?

C’est donc bien doux de voir la Mère

Gémissant avec le Fils ?

 

Sa pauvre chair toute coupée,

L’avez-vous pas assez frappée ?

Épargnez-lui vos défis !

 

Laissez-le donc mourir tranquille,

Sur le sommet de votre ville,

Pharisiens triomphants.

 

Mon Dieu, donnez-moi le courage

De voir l’escouade qui partage

Les habits de mon enfant.

 

FILS ET CROIX FONT UN QUE JE SERRE

Ayez pitié de ma misère,

Femmes de Jérusalem !

 

Car j’ai vécu sans un mot dire,

En attendant ce dur martyre

Dès la nuit de Bethléem.

 

Ô Femmes, que je vous envie

De mettre au lit, pour l’agonie,

Vos fils. Le mien meurt droit,

 

Arbre hideux, statue humaine,

Sa face à hauteur de la mienne,

Et moi, je n’ai pas le droit

 

De le déclouer. Race dure,

Contemple et dis si ma torture

Est à niveau de créature ?

 

Ô Jean, ô sœurs, dans ce malheur

N’attendons point (sinon c’est leurre)

D’autre ami que ce voleur.

 

Je suis la douloureuse Mère,

Fontaine droite, source amère

À l’intarissable pleur,

 

La Victime sacrifiée,

Car c’est ma chair crucifiée

Qui saigne sur cette croix.

 

Avec le Fils, vois ta servante,

Père, s’offrir toute vivante

Pour qu’Adam rentre en ses droits.

 

Il faut que l’Ève immaculée

Immole à Dieu, Femme immolée,

Le Pur Abel qu’elle fit ;

 

Mystère dur, sagesse amère

De l’Éternel nommant la Mère

Sacrificateur du Fils.

 

Reçois, pendu sur cette planche,

Père, ce corps dont le front penche,

Le bras tirant sur les clous ;

 

Ce torse où l’œil compte les côtes

Et les crevasses de vos fautes,

Flagellants pires que loups ;

 

Et ces genoux que je révère,

Tombés trois fois sur le Calvaire,

Sanglants ; et ces pieds percés ;

 

Cette Figure bien-aimée

Dans la douleur comme abîmée,

Ces pauvres yeux renversés ;

 

Ce Sacré Cœur que l’âme écoute,

Gonflé d’amour, broyé du doute

Ou du mépris des vivants.

 

Que toute chair monte et s’assemble.

Donc, Vierge et Prêtre tout ensemble

Je te présente, devant

 

La Terre pour sauver les Âmes,

L’Isaac pur que tu réclames,

Père, éternel Abraham !

 

 

 

Serge BARRAULT.

 

Extrait de La Voie Royale.

 

 

 

 

 

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