Le Christ Roi
Le Roi Jésus plus grand que l’Empereur romain
Marche, escorté de la garde prétorienne,
Couronné, revêtu de pourpre, arborant sous sa main,
Sceptre monumental en bois qu’il faut qu’il tienne
À deux bras, sur l’épaule en tremblante ruine, LA CROIX.
Et le peuple en furie applaudissait le Roi,
Et le comblait de coups et le sacrait d’injures,
Telle la mer l’écueil isolé. La Révolution
L’enveloppait d’une immense acclamation.
Mais, lui, poursuit sa roule et triomphale et montante et dure.
Sa couronne aux invisibles roses, ô ronce, eh ! qui donc la ceindra ?
Son manteau d’un rouge divin, qui donc s’en couvrira ?
Quant au sceptre de cèdre équarri, arbre royal et poutre
Étayant sur nos fronts le ciel, qui voudrait passer outre
Afin de soulever, si peu, ce tronc, hommes musclés ?
Comme cet arc (et seul le courbait d’un long bras Ulysse),
Ou la massue inerte (et seul l’enlevait Héraclès),
Le sceptre de la croix, géant, à la fois instrument de supplice,
Plus riche avec trois clous que celui de Crésus,
Nul ne le portera, sinon cet Homme-Dieu : le Roi Jésus.
Encore accable-t-il, massif, la seconde Nature
Telle qu’un jeune enfant, le long du quai, traînant une mâture ;
Mais la Divinité qui peut dire au Père : « Le lien
Est mien », Force inouïe aux doigts entourant l’étendue
De la sphère d’azur où la foule étoilée accourt et tourne, suspendue,
D’un souverain pouvoir, ô sceptre, le maintient.
Marche, ô Double-Nature, Aigle extraordinaire
Tout ensemble Homme et Verbe armé de son tonnerre,
Dans la même personne, ô mon souverain Roi,
Unis, comme le vin avec l’onde sa proie
Dans un Vase de chair, comme l’or et l’argent.
Traîne, blême, accablé, ce madrier de ton commandement
Qui, par le bras perpendiculaire qui le traverse,
Ouvre un angle béant où le Ciel se renverse,
Obscur angle de bois d’un Triangle illimité ;
Et sur ton dos humain siège la Trinité.
Porte ce sceptre, ainsi qu’un paysan sa herse
À l’heure où le brillant lever des astres perce
Et l’a changée en cangue aux mille diamants.
Soulève, ô charpentier, la poutre lentement ;
Avance-toi, mon Roi, le sceptre sur l’épaule
Contre tes cheveux blonds, tel au soleil après la pluie un saule.
Car le prince elle sceptre, et ni l’arbre elle tronc,
Ni le Christ et la croix ne se sépareront.
Homme entré dans du bois, des méchants pâle spectre,
Arbre humain, Homme arborescent au Golgotha planté,
Gouverne dans ton immortelle autorité,
Ô Roi tellement roi qu’on le cloue à ton sceptre !
Serge BARRAULT.
Paru dans Les Causeries en 1927.