Noël

 

 

LE dernier patriarche, en l’herbe assis, contemple les étoiles,

Adossé – comme à son trône un roi, mais comme un pauvre, – aux planches du rocher.

Seule, dans cette grotte obscure, attend, pour accoucher,

La Femme bien plus belle qu’Ève, aux chastes voiles.

 

Dans le cristal, or et bleu foncé, des constellations

Brillant, coupole en feu, sur le visage étonné de la terre,

Joseph (l’âme, telle qu’un ange, au bord des yeux) relit tout le mystère

Du serment annonçant les saintes générations.

 

« Abraham ! Abraham ! viens dehors. Peux-tu compter les astres ?

Je jure alliance avec toi, moi l’Éternel.

Ta race s’étendra comme un sable charnel

Embrasé d’âmes. – Oui, mais depuis, vous le savez, Seigneur, quels désastres !

 

Les temps sont durs aux rois. Le gouvernement des Romains

Et leur plat complice, l’usurpateur Hérode,

Dans l’esprit de la foule, aux puissants toujours si commode,

Éclipsent l’Ancien Régime. Ah ! déchu, déchu prince aux calleuses mains,

 

Qui me prendrait, ce soir, moi charpentier, pour une Altesse ?

Auberge et Grand Hôtel nous ont chassés de leurs superbes bords,

Parce que je frappais, avec une pauvresse,

À ce bourg où David, mon père, entra, couronné d’or.

                                                                                         Ah ! certe, alors,

 

Il faut connaître, ô Dieu, ton inconcevable puissance !

Je la connais. Je sais. Ma femme vierge apporte, en son ventre plus saint

Que le Ciel, un Jessé naissant, un Salomon, roi dès le sein.

Son peuple innombrable va luire autant que cette nuit immense. »

 

                                                *

 

La Femme, cependant, l’Impératrice du monde créé,

Qui vit l’Océan naître, ayant déposé sa lanterne,

En se dressant toucha cet oblique plafond de la caverne,

Tel, sous le sol pierreux, lève le blé secret.

 

Elle reconnut bien ce rocher, où notre mère Ève

Avait, sur la paille, enfanté son Abel, et plus tard, sombre, mourut.

Une vache immense soufflait, couchée. Un agneau vif courut,

Au fond, vers les brebis aux yeux luisants de rêve.

 

Et la terre battue et la rude paroi,

L’odeur âcre d’étable et le goût de la pierre,

La tiédeur bestiale, et l’ombre, et par les fentes l’air froid,

Et tout le silence, attendaient – et Marie, ô mystère !

 

Elle s’étendit, calme, ainsi que pour la mort,

Pria comme en sommeil, longtemps. Elle savait qu’il allait naître,

L’Abel, l’Agneau, le Fruit que Dieu daigna promettre.

Puis, grave, elle s’assit, ramassa, sur le foin, le petit corps,

 

Ce ver de chair, ce fils né comme le petit des bêtes.

Sur ce frisson nu la lanterne, en flaque rouge, a lui.

Le patriarche entra. La Vierge et l’Homme, inclinant leurs deux têtes

Vers l’Enfant, dans l’obscurité, crurent que c’était Lui.

 

 

 

Serge BARRAULT.

 

Paru dans la revue Marie

en novembre-décembre 1949.

 

 

 

 

 

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