Madeleine
Ce soir, j’ai dû cacher mes larmes devant elle.
Elle ne verra pas la première hirondelle.
Très douce, elle s’en va lentement à la mort.
Sa poitrine halète, un cercle mauve mord
Ses grands yeux de phtisique agrandis par la fièvre,
Et l’air de ses poumons en feu brûle sa lèvre.
C’est fini. Près des champs où, durant la moisson
Dernière, elle a jeté l’éclat de sa chanson
Et, de l’aube au soleil tombant, lié les gerbes,
Nous viendrons la coucher tristement sous les herbes.
Le travail l’a tuée. À seize ans elle allait,
Frêle encor, sous le ciel embrasé de juillet,
Peiner dans un labeur trop rude pour son âge ;
L’averse la surprit un jour, le corps en nage,
Et, quand elle rentra mouillée et les pieds nus,
Elle sentit aux os des frissons inconnus ;
Et depuis elle traîne, hélas ! et goutte à goutte
L’urne de sa jeunesse en fleur s’épuise toute.
Trop faible pour sortir, quoique l’hiver soit doux,
Elle suit le soleil tiède d’un œil jaloux
Et reste au coin du feu. Dans sa pauvre chaumière,
Où pénètre l’odeur acre d’une litière,
– Car l’étable est auprès, – tout manquait. Mais ici
On a bon cœur. Plus rien ne manque. On prie aussi
Pour que Dieu la conserve, et nuit et jour un cierge,
Moins pâle qu’elle, brûle à l’autel de la Vierge.
Mais Dieu ne voudra pas laisser l’ange en exil.
Ô pauvre Madeleine ! avant les fleurs d’avril
Ton âme blanche aura déployé sa jeune aile,
Et tu ne verras pas la première hirondelle.
Abbé Jean BARTHÈS.
Paru dans L’Année des poètes en 1896.