Les mains
Il est des mains que j’adorais
Et qui, sur les touches sonores,
Évoquaient pour moi des aurores
Éclairant de vastes forêts.
Il est des mains, souvent baisées,
Qui, sur les claviers de cristal,
Pour moi, du monde occidental,
Évoquaient les splendeurs brisées.
Il est des mains aux tons pâlis,
Nerveuses, malgré leur finesse,
Et qui chantaient pour ma jeunesse
Avec la voix des bengalis !
Du léger brouillard de dentelles,
Cadre exquis de leur royauté,
Elles faisaient, dans la clarté,
Monter des frémissements d’ailes.
Elles faisaient, dans l’air des soirs
Qu’alourdissait l’odeur des roses,
Resplendir des apothéoses
Ou sangloter des désespoirs.
Maintenant... C’est vrai... Tout s’efface...
Ils ont cessé, le chant vainqueur
Et la chanson triste, et mon cœur
Regarde l’ombre face à face.
Ainsi que l’oiselet des bois
Quand le givre étreint les ramées,
Les petites mains bien-aimées
N’ont plus de chaleur ni de voix.
On leur a mis des fleurs nouvelles,
On a clos leurs doigts refroidis,
Et je m’en vais au Paradis
Pour rester toujours avec elles !
Noël BAZAN.
Paru dans L’Année des poètes en 1892.