Misère

 

 

Les gueux souffrent : l’argent est rare,

Le terme échoit, le pain est cher.

On manque de tout chez Lazare,

Et voici venir l’âpre hiver.

Déjà souffle la bise. Il gèle.

Il faut du bois, il faut du feu.

Lazare nous tend l’escarcelle :

Un sou, pour l’amour du bon Dieu.

 

Derrière les vitres cassées

De ces taudis au noir pignon,

Dans l’horreur des maisons glacées,

Se cachent des douleurs sans nom.

Par les fentes du toit qui croule,

Par les fissures du mur gris,

Montent, avec un bruit de houle,

Des pleurs, des râles et des cris.

 

Que n’ai-je la palette ardente

Des Velasquez et des Dürer ?

Que n’ai-je la plume de Dante ?

Misère, ô douloureux enfer !

Que dis-je ? nul ne pourrait peindre

La navrante réalité

Des gouffres où l’on entend geindre

Tes doux martyrs, ô Pauvreté.

 

Regardez : près d’un grand lit vide,

Immobiles, comme abêtis,

Les yeux hagards, le teint livide,

Se pressent encor les petits :

Du regard ils cherchent la mère;

Mais la mère est sous le linceul;

Aux pleurs des orphelins, le père

Vient de comprendre qu’il est seul.

 

Là, c’est une veuve qui peine

Seule pour nourrir cinq marmots.

O riches, donnez à main pleine,

Pour la mère et pour les petiots.

Donnez les miettes de vos tables,

Vous qui faites vos trois repas,

Aux pauvres femmes lamentables

Dont les enfants ne mangent pas.

 

À travers les foules bourrues

Cheminent les pauvres honteux.

Le vice guette au coin des rues

Les filles des nécessiteux :

Misère engendre crime et vice.

Que l’or pur de la Charité

Fonde et dote hôpital, hospice,

Crèches et monts-de-piété.

 

Les gueux souffrent : l’argent est rare,

Le terme échoit, le pain est cher.

On manque de tout chez Lazare,

Et voici venir l’âpre hiver.

Déjà souffle la bise. Il gèle.

Il faut du bois, il faut du feu.

Lazare nous tend l’escarcelle.

Riches ! pour l’amour du bon Dieu !

 

 

 

Nérée BEAUCHEMIN, Les floraisons matutinales, 1897.

 

 

 

 

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