Sphinx
Dans un flot d’aurore, l’Année,
À plein vol, de la nuit du temps,
S’élance et monte couronnée
D’étoiles aux feux éclatants.
À l’heure où l’éclair de son aile
Sillonna le monde endormi,
Au fond de la voûte éternelle
Les sphères de flamme ont frémi.
Mêlant son hymne d’espérance
Aux concerts du ciel étonné,
La terre sur son axe immense
Comme une harpe a résonné.
Et, bercé d’un rêve impossible,
L’homme interpelle, à deux genoux,
Le Dieu dont le cœur impassible
Est infiniment tendre et doux.
D’où viens-tu donc, belle inconnue ?
Viens-tu de l’avenue ou des cieux ?
Dois-je sourire à ta venue ?
Dois-je en pleurant baisser mes yeux ?
Les jours d’antan vont-ils renaître ?
Sur ton zodiaque vermeil,
Ô bel An, va-t-il apparaître
Le disque d’un nouveau soleil ?
Hélas ! dès l’instant où les cimes
Te chantent leur aubade en chœur,
Par-dessus tes ailes sublimes
On voit rire un spectre moqueur.
Quel est ce spectre, ce squelette,
Cette ombre, qui n’arrête pas ?
Sa gorge sifflante halète.
Fuyez, mortels ! C’est le Trépas.
Et toi, blonde aurore craintive,
Qui sors de l’orient flambant
Et viens, semant la nuit plaintive
De fleurs qui meurent en tombant,
Dis-nous si les tristes journées
Que nous réserve le destin,
Comme ces fleurs si tôt fanées,
Ne touchent pas à leur déclin ?
Que dis-je ? Tais-toi, sphinx morose !
Ah ! laisse-nous chanter encor
Les jours d’azur, les soirs de rose,
Et les matins d’opale et d’or.
Nérée BEAUCHEMIN, Les floraisons matutinales, 1897.