L’âme cherche Dieu
Je suis noire vraiment, vous le voyez, fillettes,
De la sainte cité citoyennes nymphetes,
Mais ce teint brun pourtant n’efface la beauté
Qui reluist sur ma face en grave majesté.
Il ressemble en couleur aux tentes basanées
Du peuple Cédrean, aux toiles courtinées
Des pavillons tendus en l’ost de ce grand Roy,
De ce grand Salomon, qu’il conduit après soy.
Doncques ne me blamez si je suis trop brunete
Errant parmi les champs vagabonde et seulete,
Le soleil radieux de sa vive chaleur
A changé mon beau teint et tanné ma couleur :
De ses rayons plus chauds la face il m’a brulée,
Restant comme voyez toute noire et halée.
Les enfants de ma mère animés contre moy
Me chassèrent jaloux de l’honneur que j’avoy :
D’une vigne champêtre ils me firent gardienne,
Que pas je ne garde ’ores qu’elle fut mienne.
Mais je te pry, mon cœur, dy-moi en quels coteaux,
Sous quels antres moussus et près de quels ruisseaux,
Repoussant de l’Été les chaleurs altérées,
Tu retires à l’escart les troupes égarées
De ton petit bétail ? et en quelles forêts
Broutent sur le my-jour pour y prendre le frais ?
Afin qu’en te suivant seule je ne fourvoye,
Errante par les bois : car ne tenant la voye,
Courant deça delà, je pourrois arriver,
Entre tes compagnons, seul te voulant trouver.
Remy BELLEAU, Églogues sacrées dédiées à la Reine
Louise de Lorraine, femme de Henri III.
Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique
de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée
par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.