Ode sur la misère et pauvreté
qu’on endure quand on est un homme détenu prisonnier.
Quand un arbre est tombé
De quelque mont très haut,
On voit de tous côtés
Le peuple s’empresser
Ou aller au grand trot,
Pour charger le bardot.
Ou quand Cérès permet
Qu’on lui tonde la tête,
Femmes, enfantelets,
Prompts comme la tempête,
Cueillent à pleines mains
Des glanes pour tout l’an.
Ainsi, quand sans raison,
Un pauvre misérable
Est fourré en prison,
Comme un âne à l’étable,
Tous malheurs et tous maux,
S’abattent vite sur lui.
Car, dès qu’il est bouté
Dans la fosse profonde,
La grande humidité
Subitement le tord
Et il devient, s’il vous plaît,
Plus transi qu’un lange.
Le chien de sa maison,
Plus que lui, fait bonne chère,
Bien qu’il n’ait qu’un peu
De paille pour litière.
Car, en prison, c’est sur la dure
Qu’il faut faire son lit.
Le froid, la faim, la soif,
Par la gorge le saisissent ;
Puis un petit escadron
De puces et de poux l’attrapent,
Lesquels, quotidiennement,
Lui donnent grand tourment.
S’il lui advient d’être accusé
De quelque grave affaire,
Il est aussitôt mis aux fers
Comme à la chaîne un seau de puits :
Et n’ayez nulle crainte
Qu’il en fasse à sa volonté.
Mais quand la fantaisie
En prend à Minos le juge,
Il envoie à la conciergerie
Une troupe de diables,
Pour l’amener devant lui
Afin de l’entendre.
Et quand il est arrivé
Dans son cabinet,
Aussitôt il est assis
Sur une escabelle :
On lui demande son nom,
Son pays et sa qualité.
Près de lui, un gros ventru,
Sur le papier griffonne
Tout ce que le pauvret
A dit, et puis il signe ;
Après il est ramené
À son premier état.
Il arrive quelquefois
Que durant plus d’une année
Il ne bouge de son cachot,
Comme à une âme damnée,
On lui passe par un trou
Du pain et un broc d’eau.
Toutefois telles souffrances
Ne sont pour lui que bagatelles,
Car, quand il faut en venir
Au jeu de la question,
Il brame comme un veau
Qu’on mène à l’abattoir !
Et il n’y a tendon,
Muscle, jambe ni veine,
Que Minos, le larron,
Ne fasse torturer,
Et de pause il n’aura
Tant qu’il ne saura rien.
Dans cette attente, Minos obstiné,
Nouveaux supplices lui inflige,
Et dès qu’il a confessé
Sa malheureuse affaire,
Incontinent est écrit
Tout ce qu’il a dit.
Alors il le fait emporter
Tout rompu sur la paille,
Et Minos d’assembler
Toute sa bande de larrons,
Qui, à tort ou raison,
Lui annoncent sa mort.
Après avoir conclu,
Chacun à sa guise,
Qu’il soit pendu
Ou mis sur la roue,
Un curé vient
Lui mettre la croix en main.
Alors le pauvret,
La face blêmie,
Est mené au gibet
Pour y finir sa vie,
Laissant tous ses parents,
Mal contents de sa fin.
Mais sa mort ne vaudrait
Le poil d’un petit balai,
Si le patient n’était
Précédé d’un trompette,
Pour faire seulement
Ouïr son testament.
Aussitôt le vieux Caron,
Nautonier de la barque,
Pour moins qu’un denier,
Emporte son esprit,
En laissant aux oiseaux
Son corps et ses boyaux.
Voilà de notre enfer
La terrible misère ;
Soit l’été, soit l’hiver,
Nous ne manquons de mauvais temps :
Et peut mordre son doigt
Qui passe le guichet.
Il est vrai qu’en prison
Il y en a plus d’une centaine
Qui sont détenus pour dettes,
D’autres, exempts de peine,
Acquittés, s’en vont quasi
Du jour au lendemain.
Mais un tel espoir
Ne m’est pas encore permis,
Car, sept mois de l’an
Viennent justement de s’écouler
Depuis que je suis prisonnier
Dans ce pigeonnier.
Et bien que Pluton
Et Dame Proserpine
Aient fait à Bellaudon
Toujours bonne cuisine,
Toutefois, il m’est avis
Que dans la glu je suis pris.
Car, lorsque mon cœur
Se souvient de la chère
Que j’ai faite dans Avignon
Et au-delà de la rivière,
Le jour ne s’écoule
Sans que je sois malade.
Mais il faut qu’en moi
Je garde ma patience,
Attendant que mon Dieu
Me donne délivrance :
Après l’obscurité
Vient enfin la clarté.
Cela est trop certain
Et j’en tire quelque réconfort,
Car le malheur ne peut
Frapper toujours à la même porte.
Mais pour sortir d’ici,
Il faut que Dieu vous accorde merci.
Celui-là est bien heureux
Qui peut passer sa vie
Loin de telles douleurs,
Vivant à sa campagne
En toute liberté,
Quand il n’aurait que du lait.
J’aimerais mieux cent fois
Y vivre de salades,
D’oignons et d’aulx,
Que de perdrix lardées
Étant dans la prison,
Loin de mon Avignon.
Louis BELLAUD DE LA BELLAUDIÈRE.
Traduit de l’occitan par Léon Vérane.
Recueilli dans Anthologie de la poésie occitane,
choix, traduction et commentaires
par André Berry, Librairie Stock, 1961.