Prières et saintes
doléances de Job
Mon haleine est devenue
Si courte et si corrompue,
Et la fin me presse tant,
Que je ne vois plus que l’ombre
Et la fosse noire et sombre
D’un sépulcre qui m’attend.
Les voisins qui m’accompagnent,
Ce sont ceux qui me desdagnent,
Et tous se mocquent de moy :
Mon œil tout honteux s’abaisse
Et demeure en la detresse,
Seigneur, que d’eux je reçoy.
Sauve-moy donc, je t’en prie,
Et défends ma pauvre vie :
Loge-moy dedans ton fort ;
Puis vienne qui me combatte,
Main à main et qui m’abatte,
Toujours seray le plus fort.
Mes emprises sont passées,
Mes jours, mes vœux, mes pensées
Et tous mes desseins rompus :
Le jour m’est nuit, et m’est claire
La nuit au lieu de lumière,
Tant mes sens sont corrompus.
J’ay fait mon lit en ténèbres,
Et sous les tombes funèbres
Je m’en vay tenir prison.
La pourriture est mon père,
Les vers ma sœur et ma mère,
Et le tombeau ma maison.
Où est donc mon espérance
Et qui a la cognoissance,
Seigneur, de ce que j’attens,
Si non toy qui seul embrasses,
Qui, tranches et qui compasses
Le ciel, les jours et les temps ?
Remy BELLEAU.
Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique
de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée
par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.