Lacrymas profundit
ORBA MATER
Plaignez un trop malheureux père,
Dont le cœur faible et languissant
Cherche à consoler une mère
Qui vient de perdre son enfant.
La main d’une Parque cruelle
La leur ravit en un instant.
Venez, venez prier pour elle
Sur la tombe de marbre blanc.
J’arrivais au déclin de l’âge,
Après quarante ans de travaux;
Deux bons enfants et femme sage
Me présageaient un doux repos.
Las de me voir ainsi tranquille,
Le sort, par un coup accablant,
Vient de plonger ma pauvre fille
Sous la tombe de marbre blanc.
Partout à présent je m’ennuie,
Mes amis me font mal à voir ;
Je traîne une pénible vie,
Et si je vis, c’est par devoir.
J’existe donc pour ma famille.
Mais mon désir de chaque instant
Est d’aller rejoindre ma fille
Près sa tombe de marbre blanc.
À vous, jeunesse folâtre,
Qui courez après les plaisirs,
C’est une colonne d’albâtre
Que je présente à vos désirs.
Morte à l’âge où la gaieté brille,
Je l’ai perdue en son printemps,
Et la dot de ma pauvre fille
Est une tombe en marbre blanc.
Quoi ! pas une condoléance !
Pas une carte, un souvenir.
Oh ! s’il s’agissait de la danse,
Je vous verrais tous accourir.
De votre âme ingrate et servile
Le plaisir seul est l’aliment.
Car vous fuyez loin de ma fille
Et de sa tombe en marbre blanc.
Mais vos yeux s’emplissent de larmes.
Oui, vous partagez mes douleurs.
Merci, je vois à vos alarmes
Que j’avais mal jugé vos cœurs.
Venez, là-bas, loin de la ville,
Venez, amis compatissants,
Avec moi pour pleurer ma fille,
Sur la tombe de marbre blanc.
Alors, incliné sur la pierre,
J’adressais ma prière à Dieu ;
Mes yeux mouillés quittent la terre.....
Je me trouvai seul en ce lieu,
Ils étaient tous restés en ville,
Ces beaux joueurs de sentiment,
Ils avaient oublié ma fille
Et sa tombe de marbre blanc.
Qu’ai-je donc fait ? Quel est mon crime,
Pour lancer ta foudre sur moi ;
S’il te fallait une victime,
Mon Dieu ! j’allais m’offrir à toi.
Eh ! que m’importe l’existence,
Elle n’est qu’un affreux tourment ;
Rends ma fille à mon espérance
Et l’arrache à ce marbre blanc.
Bientôt mon oreille est frappée
De sons, d’une voix bien connus,
C’est elle, c’est ma bien-aimée,
Dont les traits me sont apparus.
« Silence, ô Père, tu blasphème,
« En proie à tes cruels tourments,
« Je suis avec mon Dieu suprême
« Ma cendre est sous ce marbre blanc.
« Il n’est pas de bonheur sur terre ;
« Pour le juste, il est dans les Cieux ;
« C’est là que j’attends mon bon père,
« C’est là que nous serons heureux.
« Calme ton cœur et meurs tranquille,
« Je fléchirai Dieu tout-puissant.
« Au Ciel, tu rejoindras ta fille
« Et sous cet humble marbre blanc. »
Un jour viendra, bientôt j’espère,
Où Dieu terminera mes jours ;
Heureux époux, malheureux père,
Je la rejoindrai pour toujours.
Oui ! j’attendrai, l’âme ravie,
L’approche de ce doux instant
Où j’irai rejoindre Marie
Sous la tombe de marbre blanc.
Pierre-François-Henri BÉNARD,
Pensées et méditations poétiques de Van d’Ast,
1863.