À toutes gens merci
À toutes gens en joie je demande merci
pour toutes gens en peine
pour toutes gens sans fleurs et sans fontaines
sans aube, sans hasard, sans promesse d’été
sans lieu et sans droit de cité
pour toutes gens qu’un nom n’a pas couverts
d’une assurance d’être
qu’un sol de proie a rejetés
pour toutes gens en mal de croire, en mal d’aimer
en mal de ciel, d’océans, de planètes
d’oiseaux et de naïveté.
À toutes gens merci pour tous et pour eux-mêmes
ralliés dans l’angoisse anonyme de vivre
le front bas devant les prodiges
dans la peur d’une mort au faîte des puissances
d’une mort trop folle d’orgueil
de n’être pas la mort des bêtes et des plantes.
Temps des hommes sans origine
nous ne voulons être créés que de nos forces
temps des bourreaux nous sommes nos victimes
temps du refus nous subissons nos réprouvés
temps du bonheur nous n’avons pas d’enclume pour tes forges.
Il nous faudra rester encore à nous attendre
pendant nos saisons de croissance
pendant nos heures de déclin.
Ô que lève en nos flancs la sève des jardins
que la forêt nous cerne et nous prenne à la gorge
que l’océan marque nos nuits de ses atolls
que le fleuve nous porte au-delà des révoltes
et que Dieu nous absolve en soufflant sur nos mains.
Colette BENOÎTE.
Recueilli dans Panorama de la nouvelle poésie
d’expression française, Unimuse, Tournai, 1963.