Dieu

 

FRAGMENT

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Nicolas BERGASSE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

TANDIS qu’un voile mystérieux, durant le cours de notre vie terrestre, dérobe à nos regards l’action de Dieu partout bienfaisante et partout réparatrice, il n’est pas moins vrai cependant que, par elle seule uniquement, tout ce qui participe à l’existence reçoit le mouvement 1 et la mesure de sa réalité. Ainsi les êtres seraient comme s’ils n’étaient pas, sans développement et sans destinée, si l’Éternel, selon les vues de sa sagesse profonde, ne plaçait en eux sa force et ne les faisait à chaque instant tout ce qu’ils sont 2.

Et sans doute voilà pourquoi il s’est défini lui-même avec une précision si sublime et si simple : Je suis celui qui est. Il est celui qui est, car en lui tout est substance, par lui tout est vie, en lui et par lui tout est être. Il est celui qui est, car la puissance, c’est lui ; la fécondité, c’est lui ; l’activité, c’est encore lui. Il est celui qui est, car il pense, et c’est parce qu’il pense que les réalités sont ; il parle, et c’est parce qu’il parle que les réalités existent ; il veut, et c’est parce qu’il veut que les réalités agissent. Leur être est dans sa pensée leur vie est dans sa parole ; leur action est dans sa volonté. Il est celui qui est, car les causes et les effets sont à lui, les causes qui ne sont que ses pouvoirs distribués dans la nature, les effets qui n’en sont que les résultats. Il est celui qui est, car c’est encore à lui qu’appartiennent les propriétés des causes et les qualités des effets. L’ordre, c’est sa sagesse qui assemble, qui pèse, qui nombre, qui mesure ; la variété, c’est son infinité, qui se joue dans les formes de l’univers ; l’attrait, c’est la vapeur douce de sa puissance qui se distribue dans les réalités pour les unir ; la bonté, c’est une ombre qu’il empreint de sa divinité ; la grâce, c’est son amour qui donne du mouvement à la bonté ; le charme, c’est l’effet de son amour, c’est 1’amour avec sa joie ; son silence, c’est l’amour avec ses perspectives immortelles, c’est le sentiment, c’est le plaisir d’aimer, c’est l’espérance d’aimer toujours. Il est celui qui est, car ce n’est qu’en lui seul aussi que se développent les propriétés des causes et les qualités des effets ; l’espace et le lieu, l’éternité et le temps, l’immensité et la voie ne sont que lui-même. Il a regardé, et il a vu l’espace en lui, et il a limité le lieu des mondes dans l’espace ; il a regardé, et il a vu l’immensité en lui, et il a tracé la voie des mondes dans l’immensité ; il a regardé, et il a vu l’éternité en lui, et il a détaché le temps de son éternité pour fixer aux mondes leurs époques mobiles, leurs destinées passagères ; et pleins de leurs causes vivantes et de leurs effets animés, les mondes ont trouvé dans sa substance le lieu de leur être, la voie de leur mouvement, le commencement, le cours et le terme de leur durée.

Il est celui qui est. Oh qui peut expliquer le secret de son action et en mesurer l’étendue ! C’est de lui que l’astre du jour emprunte les feux dont il étincelle ; c’est à lui que l’astre des nuits demande la clarté silencieuse qui l’environne : les cieux brillent de son éclat, et leur étendue lumineuse n’est que le voile qui le dérobe à nos yeux. Il est celui qui est. Sa vertu descend dans les airs, et les mers échauffées dans leurs profonds abîmes se couvrent de vapeurs bienfaisantes ; et, ministres de sa puissance, les vents assemblent les vapeurs ; et, vêtues de leurs formes pompeuses et reflétant en tous sens ses couleurs immortelles, les vapeurs au loin dispersées portent, selon ses désirs, tantôt dans des réservoirs d’or, de pourpre et d’azur, tantôt dans les flancs caverneux de la nuée qui cache la tempête, aux lacs, aux fleuves, aux ruisseaux, aux fontaines, leurs eaux accoutumées. Il est celui qui est. Son influence pénètre la terre, et les routes mystérieuses de la végétation s’entrouvrent devant lui ; il envoie la vie dans les routes de la végétation ; et, s’échappant de leurs froides enveloppes et pressés d’éclore, et caractérisés suivant leurs espèces et leurs genres, arbres, arbrisseaux, arbustes, herbes, mousses, lichens, les germes déployés paraissent et sous toutes les nuances et à toutes les hauteurs ; la terre, par elle-même infertile, se couvre d’une riche et féconde verdure. Il est celui qui est. Sa prévoyance pourvoit à tous les développements. Il commande, et la sève obéit, et, diversement filtrée dans les tubes capillaires qui la reçoivent, elle donne au printemps ses fleurs, à l’été ses moissons, à l’automne ses fruits ; et, depuis l’insecte caché sous l’herbe jusqu’à l’aigle au vol audacieux, depuis le reptile jusqu’à l’homme, tout ce qui se meut, tout ce qui respire ne trouve qu’en lui seul, sous une prodigieuse multitude de préparations et de formes, cette énergie alimentaire sans laquelle aucune existence animée ne peut se maintenir. Il est celui qui est. La modération des développements lui appartient comme leur activité ; et quand, lasse de produire, la nature épuisée s’arrête, c’est encore lui qui est le repos utile, le calme bienfaisant de la nature. Il visite les pôles du monde, domaines du Silence et de l’antique Nuit, et au sein de ces solitudes désolées où la création se tait, où nul son vivant ne se fait entendre, où les éléments eux-mêmes sont sans mouvement et sans voix, l’Hiver étonné sent sa présence. Les ténèbres épaisses, les froids brouillards, les noirs et mélancoliques frimas se détachent çà et là des glaciers sourcilleux qui bornent son empire. Lui-même il s’avance dépositaire des vertus du Très-Haut, et, déployant comme un linceul, sur les zones fatiguées, ses neiges étincelantes, il rend à la nature sa première vigueur, et lui prépare, pour le temps de la reproduction, toute cette abondance, tout ce luxe d’effets qui atteste avec tant de magnificence et d’éclat la providence de Dieu qui la soutient et qui la répare.

Il est celui qui est. Oh ! qui peut s’occuper de ce qui est, et demeurer sans amour ? Père du sentiment et de la pensée, lumière des esprits, mouvement des cœurs, source féconde et jamais épuisée des plaisirs purs et des affections célestes, ineffable et douce harmonie de tout ce qui participe à l’existence. Y a-t-il dans les êtres une qualité, un acte ; dans le temps une révolution, une destinée ; dans la nature un lieu, un site qui ne le révèle à la méditation attentive, qui n’emprunte de lui son effet moral, son expansive et douce expression ? Cette vérité qui se montre par intervalles dans les productions du génie ; cette raison qui se développe dans la conduite du sage ; cette justice qui se manifeste dans les déterminations de l’homme de bien, que sont-elles, sinon sa vérité, sa raison, sa justice ? À quel autre qu’à lui l’innocence doit-elle l’heureuse paix qui l’accompagne ; la bonté, cette simplicité, cet abandon qui la font aimer ; l’humanité, ses résolutions saintes, ses élans sublimes, ses émotions généreuses ? Qui est-ce qui rend la douleur puissante, et la pitié secourable ? Qui est-ce qui place auprès de la tristesse la consolation, auprès du malheur l’amitié, auprès du bienfait la reconnaissance ; quel autre que lui appelle le remords sur les pas du crime, et commande à la terreur salutaire d’en empoisonner les jouissances et d’en tourmenter les succès ? Quel autre donne à l’austère devoir sa fidélité, sa constance ; à la prospérité sa modération, à l’adversité son courage, à la pauvreté sa patience ; à l’infortune non méritée cette attitude imposante, cette dignité tranquille qui écarte la honte, déconcerte l’outrage et commande le respect ? Quel autre, quel autre encore, durant le cours de ces pénibles épreuves, conseille, soutient, élève la vertu ? J’ai vu la vertu aux prises avec l’iniquité ; elle luttait, et il était sa force ; elle cédait, il était sa douceur ; elle souffrait, et il était sa résignation elle succombait, et tandis que les insensés applaudissaient à sa chute déplorable, j’ai vu l’immortelle espérance briller dans ses regards éteints, son front auguste se couvrir, en tombant, de toute la majesté de celui dont elle est la plus noble et la plus touchante image... LOUIS XVI.

 

 

 

Nicolas BERGASSE.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1825.

 

 

 

 



1 In Deo vivimus, movemur et sumus, dit saint Paul ; nous vivons, nous nous mouvons, et nous sommes en Dieu.

2 Ce qui constitue la liberté de l’homme, c’est qu’il se rend propre le mouvement qu’il reçoit, par la faculté qui est en lui de le modifier ou de le diriger à son gré.

 

 

 

 

 

 

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