Via Crucis
OU
LA TRÈS DOULOUREUSE PASSION DE N.-S. JÉSUS
EN QUATORZE STATIONS 1
—
LIMINAIRE
À vouloir de Ta mort graver l’affre et l’outrage
En un dessin qui dure impérissablement,
Nous nous sommes tordus d’un désespoir dément
Dont semble l’horreur noire évoquer un autre âge.
Nous nous étions juré le solennel serment
D’user sans défaillir nos burins à l’ouvrage,
Et d’égaler l’estampe au drame... Mais – ô rage ! –
L’Idéal nous trahit et notre œuvre lui ment.....
Donc, nous T’offrons, ô Christ, l’âpre compatissance
De nos cœurs, assombris de leur froide impuissance ;
De nos esprits, lassés d’un labeur surhumain ; –
Et, vaincus dans l’effort, nous souffrons sans nous plaindre
Le martyre incompris de Ton royal chemin,
Assez pour en saigner, mais trop peu pour le peindre.
PREMIÈRE STATION
—
JÉSUS EST CONDAMNÉ À MORT
Sit sanguis ejus super nos !
C’est une orde marée où, par-dessus les têtes,
En de hideux remous montent des poings tordus
Et brandis follement ; – mais les cris entendus
Étoufferaient la voix des flots et des tempêtes.
Pontifes et valets s’y pressent, confondus
Parmi les pèlerins afflués pour les fêtes ;
Tous, grossissant la meute apparue aux prophètes :
Loups assoiffés de sang et de rage éperdus.
Et le Juge, obsédé, de sa haute tribune
Baisse, en l’effarement du coupable qui craint,
Sur le Roi conspué, sa prunelle d’airain...
Or, Lui, l’âme étrangère à sa propre infortune,
Promène sur son peuple un regard douloureux,
Et murmure, implorant : « Père, pitié pour eux ! »
⁂
DOUZIÈME STATION
—
JÉSUS MEURT SUR LA CROIX
Erat antem fere hora sexta.
Tout était consommé. – Les spasmes tétaniques,
Rigidement, arquaient sans fin ses membres morts ;
Et comme tourmenté d’un mystique remords,
Le roc se déchirait de sursauts volcaniques.
Le ciel avait vêtu ses plus sombres décors ;
Et sous la nuit diurne où hurlaient des paniques,
Les vieux spectres des saints hérauts messianiques,
Pour maudire Sion, rehantèrent leurs corps.
Et le peuple effaré, fuyant, heurtait sa houle
À ces blancs réveillés qui, le long des chemins,
Fulminaient l’anathème en se tordant les mains ;
Et le centurion courait, suivant la foule,
Et, battant son sein mâle où brûlait un grand feu,
Criait : « Malheur ! ce juste était le Fils de Dieu ! »
Édouard BERNAERT.
Paru dans Durendal en 1897.
1 Un de nos collaborateurs n’a pas jugé qu’il fut téméraire d’entreprendre, en poète, ce formidable sujet religieux : le chemin de la croix. Nous offrons aujourd’hui, à nos lecteurs catholiques, ces trois pages, les seules de l’œuvre tentée qui nous soient parvenues. Nous nous imaginons que ces nobles vers répondent péremptoirement à cette sottise de M. Boileau-Despréaux :
De la foi des chrétiens, les mystères terribles,
D’ornements égayés ne sont point susceptibles !