Parce que tu t’es fait homme

 

 

J’AI peur de ne t’avoir aimé

Que parce que tu t’es fait homme ;

Mon Dieu, quand ainsi je te nomme,

C’est ton Christ que je veux nommer.

 

Je te vois souvent sur la terre,

Rarement dans ton ciel, Seigneur :

Ta voix m’est plus familière

À travers le peuple qu’ailleurs.

 

J’ai fait tes traits selon mon rêve :

Cheveux noirs sur teint basané.

Je te parle et jamais n’achève

Ma prière sans raisonner.

 

C’est que tu fus si grand, si juste !

Quand je te vois sur le Thabor,

Oubliant ta splendeur auguste,

Je fais les contours de ton corps.

 

À moi-même, je te compare,

Toi qui ne pouvais pas fauter

Et qui compris toutes les tares

De la souffrante humanité.

 

Toi qui, protégeant cette femme,

Défendait qu’on vînt la toucher,

Disant aux lapideurs infâmes :

« Si vous n’avez jamais péché... »

 

Toi qui disais de Madeleine

Ce qu’en amour on dit encor ;

Ta loi fut meilleure gardienne

Que l’effroi, la force et la mort.

 

Toi qui ne tombas qu’au Calvaire,

Ayant aidé sur les chemins

Les pécheurs, les souffrants, les hères,

De la tendresse de ta main.

 

Mon Dieu, quand ainsi je te nomme,

C’est ton Christ que je veux nommer ;

J’ai peur de ne t’avoir aimé

Que parce que tu t’es fait homme.

 

 

 

Jovette-Alice BERNIER, Les masques déchirés, 1932.

 

 

 

 

 

 

 

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