Au seuil de l’éternité
– J’ai vu passer une ombre en des loques royales.
– C’est mon cœur qui avait tout porté, hors cela :
Le manteau qu’on vous vit, Seigneur, au Golgotha.
– Tu n’as rien apporté ? Pas une œuvre morale ?
– Les hommes m’ont jugé avant vous, ô mon Dieu,
Et j’ai quand même osé vous approcher un peu.
– Tu n’as rien apporté de travaux ni de jeux ?
Tes sœurs avec fierté m’ont dit : « Voici les nôtres ! »
– Mes deux bras n’ont bercé que les enfants des autres.
– Tes mains ont caressé
Des rêves insensés !
– Mais, Seigneur, vous n’avez jamais rien exaucé.
J’étais pauvre et, parfois, j’ai haï ma misère...
Songez que sur la terre
Honteuse de n’avoir que de l’amour, Seigneur,
On m’a dit : « Tout se vend et s’achète ma sœur ».
Et, cependant, nul Juif n’a pu vendre mon cœur.
– Mais ton cœur, l’entends-tu qui maudit ta faiblesse ?
– Voyez mon frêle corps qui l’a tant supporté...
Lui, c’était de partir, de montrer sa tendresse,
Mais on ne l’aimait pas, alors il m’est resté...
– Tu me dis n’avoir plus d’émotion humaine ;
Cette larme pourtant qui glisse sur ton deuil ?
– Ce n’est rien. Regardez. Pas même de la peine.
Une poussière de néant que j’ai dans l’œil...
Jovette-Alice BERNIER.
Recueilli dans Feuilles d’érable, fleurs de lys,
anthologie de la poésie canadienne-française
établie et présentée par Pierre Cabiac,
Éditions de la diaspora française, 1966.