L’aumône

 

 

Ses lourds sabots glissaient sur la dalle sonore ;

Son rosaire à la main, elle priait encore.

 

Longeant les murs, elle venait d’un pas très lent,

En appuyant sur un bâton son corps tremblant.

 

Sa coiffe était de lin, massive et d’un autre âge :

Elle enveloppait dans son ombre le visage.

 

Les rides se croisaient dans ses traits amaigris,

Ses yeux étaient voilés et ses larmiers meurtris.

 

Son regard, maintenant dépourvu de lumière,

Semblait se replier vers l’enfance première.

 

Il vient une saison où l’on ferme les yeux,

Où l’on revit dans le passé mystérieux.

 

« Soyez juste et compatissant, faites l’aumône » :

Yve Hélory de Kermartin ainsi l’ordonne.

 

Nous vîmes rayonner son visage fané

Sous son regard pour un instant illuminé.

 

– Ô grand saint Yves, sois témoin de leur offrande !...

Qu’il vous bénisse, mes petits, qu’il vous le rende. –

 

Mignonne, c’est alors que tu mis sur son front

Ces baisers qui toujours en moi résonneront.

 

Elle trembla de tout son corps sous ta caresse,

Elle contempla ta splendeur et ta détresse.

 

Elle disait, tout en traînant son corps perclus :

« Oh ! si belle ! et si bonne ! ô monseigneur Jésus ! »

 

Elle s’en fut alors s’asseoir parmi les tombes,

Aussi blanches sous le soleil que des colombes.

 

Ce souvenir, toujours caressé, me ravit.

La reverrai-je encore, au pays du granit,

 

Dans cette église et sous le vitrail qui flamboie,

La mendiante de cent ans pleurer de joie ?

 

 

 

Yves BERTHOU.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1893.

 

 

 

 

 

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