La croix sur le sentier
Seigneur, j’ai vu ta croix à l’angle du sentier
Où je traînais, chétif, mon âme endolorie
Et, soudain, j’aperçus un frêle bénitier
Placé sous ton image éternelle et meurtrie ;
Une claire rosée avait, pendant la nuit,
En glissant sur ton corps, rempli d’une eau bénite
Le vase consacré. Je m’approchai sans bruit
En disant ma prière, et, lisant ton invite
Dans tes yeux larmoyants, j’osai plonger ma main
Dans cette eau que ton sang venait de faire sainte,
Et, sans peur, me signer ; puis suivant mon chemin
D’un pas délibéré, je marchai vers l’enceinte
De la grande cité, celle où l’on voit le mal
Épandre son venin sur le pavé des rues,
Où l’ignoble habitant, ainsi qu’un animal,
Devant les assistants, découvre ses verrues.
Mon cœur navré saignait, mes yeux versaient des pleurs,
Et mes pieds, malgré moi, ralentissaient leur marche
Tant je m’apitoyais sur toutes ces douleurs.
À la porte du Temple, assis sur chaque marche,
Des êtres mal venus, des manchots, des boiteux
Estropiaient un psaume en tendant leur main sale
Aux fidèles pansus qui passaient devant eux,
De leurs pieds bien chaussés faisant sonner la dalle,
Et dont le cœur riant et les yeux desséchés
Ne voulaient pas les voir.
Cependant que la foule
Des tristes désœuvrés va purger ses péchés
Dans le lieu saint, je sens mon âme qui refoule
Les plaintes de mon cœur ; lentement, vers l’autel.
Je vais m’agenouiller dans la sainte prière ;
Je retrouve le calme en son baume immortel
Qui bientôt a séché les pleurs sous ma paupière.
Auguste BERTOUT.
Paru dans L’Année des poètes en 1897.