Prière
Ô Seigneur ! accordez à ceux qui vous blasphèment
La place à votre droite au sublime séjour ;
Donnez-leur tout, Seigneur, donnez : ceux qui vous aiment
Ont bien assez de leur amour !
Quand, aux portes du ciel par l’archange gardées
Ils se présenteront, oh ! qu’ils entrent, mon Dieu !
De ces blasphémateurs aux âmes attardées
Écartez le glaive de feu !
Nous resterons dehors, souffrant, loin de l’enceinte,
Et le froid de la nuit et la chaleur du jour ;
Ah ! du céleste abri bannissez-nous sans crainte :
Il nous suffit de notre amour !
Pour eux n’épargnez rien ; mettez à toute branche
Et l’ombre de la feuille, et la fleur, et le fruit,
Et l’ivresse à la coupe où leur lèvre se penche,
Sans la tristesse qui la suit !
Nous, pour être abreuvés d’ineffables délices,
Pour sentir sous vos mains nos cœurs se parfumer,
Nos âmes s’abriter à des ombres propices,
Il nous suffit de vous aimer !
Pour eux faites là-haut chanter des milliers d’anges,
S’accompagnant du cistre en des tons merveilleux :
Leurs désirs insensés et leurs rêves étranges,
Réalisez-les dans vos cieux !
N’est-il donc pas pour vous des hymnes bien plus belles,
Et n’entendons-nous pas, à de secrets concerts,
Vibrer dans notre amour toutes les voix fidèles
Qui vous aiment dans l’univers ?
Pour leur front réservez la brise la plus douce,
Pour leurs yeux vos soleils qui ne s’éteignent pas ;
Et comme un sable d’or que la vague repousse,
Semez les astres sous leurs pas.
Sous nos genoux ployés la terre est froide et nue :
Mais nous ne voulons rien, non ! rien que leur retour !
Pour nous la récompense avant l’heure est venue ;
Le paradis, c’est notre amour !
Ah ! celui qui vous cherche et qui pourtant s’égare,
Dont l’esprit, succombant au poids de l’infini,
A quitté votre voie, et de vous se sépare
Pour ne plus regarder qu’en lui ;
Ainsi qu’un laboureur qui pousse dans l’étable
Ses bœufs tout ruisselants d’écume et de sueur,
Chargés encor des traits et du joug implacable
Qui les attachaient au labeur ;
Quand la mort, à vos pieds déposant sa récolte,
Le jettera tremblant, garrotté de liens,
Le doute à la pensée, aux lèvres la révolte,
Seigneur, ouvrez-lui vos desseins !
Vous-même détachez et ce joug qui le gêne,
Et ce trait qui, flottant à ses reins, est resté,
Et tous les vains lambeaux de la science humaine
Qui le couvraient d’obscurité.
Promenez-le, Seigneur, aux routes infinies,
Lui nommant les étés qui sont aux mains du temps ;
Qu’il compte devant vous leurs gerbes réunies
Et les fleurs de tous les printemps.
Et si, pour le comprendre, il faut peser le monde,
Comme un jouet d’enfant, mettez-le dans sa main ;
Et de la mer sans bords s’il veut explorer l’onde,
Tracez-lui du doigt le chemin !
Vous nous avez, Seigneur, dévoilé votre face,
Nous jugeant assez forts pour supporter le jour ;
Nous planons au-dessus du temps et de l’espace,
Car l’infini, c’est notre amour !
Louise BERTIN.