Un rêve
Ô mon Dieu, le beau rêve ! Hélas ! ce n’est qu’un rêve.
De la gorge du peuple un cri vainqueur s’élève ;
Ce cri réveille en tous puissance, volonté ;
Et ce cri n’est qu’un mot, un seul mot : liberté.
Du faste, liberté, tu brûles les guenilles ;
Diadème du peuple, à nos fronts tu scintilles.
Les héros ne sont plus ces farouches guerriers,
Qui transforment nos champs en horribles charniers ;
Ni canons, ni mortiers n’encombrent nos murailles,
Et l’on n’invente plus pour le gain des batailles
– Ces meurtres glorieux – des engins merveilleux.
D’autant plus admirés qu’ils savent tuer mieux.
Ce n’est plus saoul de sang que l’on séduit la gloire.
Non, la poudre n’est plus l’encens de la victoire,
Non, le front du héros qui brille au premier rang
N’a plus pour auréole une tache de sang.
Ainsi qu’il n’est qu’un ciel, il n’est qu’une patrie.
Tous les pays rivaux par l’art et l’industrie
Restent sourds à la voix du point d’honneur haineux ;
C’est pour fonder la paix qu’ils semblent belliqueux.
On ne se combat plus qu’à grands coups de science,
Et pour arme chacun n’a que sa conscience.
Où gisaient châteaux-forts, des parterres de fleurs
Exhalent leurs parfums, atmosphère des cœurs.
La chaste violette en son bain de rosée,
Et le modeste œillet, la timide pensée,
La rose plus accorte, et le naïf dahlia.
La tulipe orgueilleuse et le hardi fluxia.
Enivrent nos regards en inondant l’espace
De fraîcheurs, de gaîté, de tendresse et de grâce.
Où grondaient les canons, on voit l’épi doré
Que Zéphyre lutine et caresse à son gré,
Balancer gracieux sa langoureuse tige,
Le joyeux papillon allégrement voltige.
Tout respire dans l’air le calme, le bonheur ;
Les cieux ont revêtu leur robe de candeur.
Nul ne s’accroche au mât de cocagne du titre,
Seul, le respect du droit est la règle et l’arbitre.
L’intrigue est impuissante où le travail est roi,
Le faible est respecté, le mérite fait loi.
Ne vient plus la débauche au milieu de la rue
En carrosses dorés s’étaler toute nue.
L’immonde flatterie est jetée à l’égout ;
La vérité flamboie à sa place debout.
On ne vient plus vanter comme acte d’héroïsme
L’abandon de sa foi vendue au despotisme.
L’enclume du devoir fume sous le marteau
Qu’entre les mains de tous a mis l’amour du beau.
Nul ne rampe courbé sous le faix de son crime,
Plus de cœur ulcéré que le remords opprime.
Tous marchent en avant d’un pas vif et certain,
Front calme, tête haute, et la main dans la main.
Ô mon Dieu, le beau rêve ! Hélas ! ce n’est qu’un rêve,
De la gorge du peuple, un cri vainqueur s’élève :
Ce cri réveille en tous puissance, volonté ;
Et ce cri n’est qu’un mot, un seul mot : liberté.
Albert BERTAUX.
Paru dans Les voix poétiques en 1868.