Au Soleil
Salut, brillant Soleil ! Salut, Dieu démodé !
Si notre humanité, dans sa première enfance,
Te dressa des autels, c’est par reconnaissance,
Car c’est par ta chaleur que tout fut fécondé.
Après le dur hiver qui refroidit la terre,
Quand ton disque éclatant, laissant le sagittaire.
Au solstice a rétrogradé,
L’homme, se rappelant les longs jours de souffrance
Et les privations qu’il fallut supporter,
Voyant l’astre brillant de nouveau remonter,
Pour un long avenir reprenait confiance.
Quoique n’étant pas Dieu, tu faisais comme un Dieu :
L’homme fêtait alors ton retour au ciel bleu
Comme il eût fêté ta naissance.
Tu fus, sous bien des noms, en tous lieux, adoré
Comme Dieu bienfaisant, et créateur du monde
Retiré du néant par ta chaleur féconde.
Salut, brillant Soleil ! salut, astre sacré !
L’homme, pendant la nuit, regrette ton absence ;
C’est à genoux qu’il prie, attendant ta présence,
Qu’il te salue, astre éthéré...
Père des Dieux et des Déesses !
Roi de la Terre ! Roi des Cieux !
Astre brillant et glorieux,
Toi, dont les foudres vengeresses
Frappaient trop souvent au hasard,
Toi, dont le fulgurant regard,
Parfois, embrasait tes maîtresses,
L’homme ne te veut plus pour Dieu !
C’est à ton créateur lui-même
Qu’il adresse son vœu suprême.
Divinité déchue, adieu !
Mais, lorsque renaîtra l’aurore,
Je viendrai saluer encore
L’astre brillant dans le ciel bleu !
Comme nous tu reçus la vie ;
Comme nous, un jour, tu mourras.
Après des ans tu t’éteindras,
Ta chaleur te sera ravie
Et ta sphère, au ciel pailleté,
Roulera dans l’immensité
Aux lois des astres asservie.
Et, sans lumière, sans chaleur,
Sans électricité, sans force,
Tes éléments, brisant l’écorce,
Réduits à l’état de vapeur,
S’en iront au loin, dans l’espace,
Pour former, en quelqu’autre place,
Un nouveau chaos créateur !
Et, dans les mondes planétaires
Dépendant d’un soleil actif,
Un grand astronome, pensif,
Visant les espaces stellaires,
Vainement cherchera longtemps
L’endroit où roulaient, dans les ans,
Notre vieux Soleil et ses terres !
Auguste BERTOUT.
Paru dans L’Année des poètes en 1891.