Le divin conseil
Par cent mille voix naïves et douces,
Qui sourdent des prés, des eaux du ravin,
Des nids, des buissons, des tapis de mousses,
Dieu nous dit : – « Aimez ; tout le reste est vain !
« Laissez votre cœur, qui vibre et palpite,
« Poursuivre à loisir son rêve charmant ;
« Vos jours sont comptés et passent si vite !
« Aimer seul est vrai ; tout le reste ment.
« Jouissez des faits sans sonder les causes ;
« Vous ne parviendrez jamais jusqu’à moi.
« Ô savants, combien je ris de vos gloses !
« Amoureux, combien m’émeut votre émoi !
« Aimez donc ! Voyez : j’ai fait pour vous plaire
« Un ciel infini peuplé d’astres d’or,
« Des bois ombragés, des ruisseaux d’eau claire,
« Des oiseaux, des fleurs, cent choses encor !..... »
Dieu nous parle ainsi par cent mille bouches ;
Mais aucun ne suit le divin conseil :
À d’âpres calculs, obstinés, farouches,
Nous sacrifions nos nuits sans sommeil ;
Et quand sonne, hélas ! l’heure inévitable
Où l’esprit s’éteint par la mort vaincu,
– Affamés, qu’un bras arrache à la table, –
Nous nous endormons sans avoir vécu.
Martial BESSON.
Paru dans L’Année des poètes en 1890.