À la grève de Lion-sur-Mer
Ille terrarum mihi præter omnes
Angulus ridet. (HORACE.)
Toi qui livres ton sein à la vague endormie,
Quand, las d’errer toujours et de toujours gémir,
Sur toi, comme un amant sur le sein d’une amie,
L’Océan vient dormir,
Salut, grève aux champs d’or ! Comme on voit l’hirondelle
Toujours au toit qu’elle aime accourir aux beaux jours,
Ainsi toujours vers toi mon cœur revient, fidèle
À ses premiers amours.
Qu’un autre aime les monts, les forêts ou les plaines ;
Qu’il s’exile et qu’il aille, errant sous d’autres cieux,
Payer avec son or et ses courses lointaines
Le plaisir de ses yeux !
Mes champs à moi, mes champs, mes monts et mes ombrages,
Et s’il est sous le ciel des lieux plus doux encor,
C’est ma grève aux flots bleus, ma grève aux longs rivages,
Ma grève aux sables d’or.
Je l’aime, car son sein, nu, sauvage et rebelle,
N’a point subi le joug des hommes ni du temps ;
Car elle est vierge encore et toujours jeune et belle
Malgré ses six mille ans.
La voilà belle au soir comme au matin du monde !
Voilà les mêmes flots, le même Océan bleu !
Voilà !... mon œil croit voir encor passer sur l’onde
La grande ombre de Dieu !
Oh ! que de doux instants j’ai passés sur la grève,
Voluptés que le cœur ressent et ne dit pas,
Comme il en est au ciel et parfois on en rêve
Dans les nuits d’ici-bas !
À l’heure où le soleil, comme un volcan immense,
Jaillit du sein des eaux aux profondeurs du ciel,
Où la mer en chantant s’éveille et recommence
Son labeur éternel,
On dirait, tant est beau le jour qui vient de naître,
Que ce soleil naissant est le dernier soleil,
Que c’est l’aube éternelle et que Dieu va paraître
Comme au dernier réveil.
Et le soir, quand le flot sur son lit d’algue verte
Dort après les rumeurs et les courses du jour
Et donne en s’endormant à la plage déserte
Un long baiser d’amour ;
Quand la lune est au ciel montrant, pâle et sans voiles,
Son front comme une lampe aux voûtes du saint lieu,
Alors, sous les grands cieux, sous le feu des étoiles
Et le regard de Dieu ;
Alors, comme il est doux aux soupirs de la vague
De s’en aller, rêveur, sur les sables déserts,
Libre comme les vents, comme le flot qui vague,
Comme l’oiseau des mers !
Vous qui ne savez pas combien ma grève est belle,
Accourez ; voici l’heure où tous les blancs oiseaux,
Doux oiseaux passagers, viennent baigner leur aile
Et jouer sur les eaux.
Comme eux, venez apprendre au bord des mers plaintives
Ce que le premier homme en son cœur dut sentir
Quand son premier regard vit les flots sur leurs rives
Tomber et retentir.
Lion, ô fleur des eaux, ô mon riant village,
Fraîche oasis qui dort sur les sables brûlants,
Reine dont l’Océan en rampant sur la plage
Vient baiser les pieds blancs,
De tous les nids épars sur les bords de la Manche,
C’est toi, toi seul que j’aime, ô doux fils de la mer,
Le plus beau qui s’arrose et dont la tête blanche
Se mire au flot amer.
C’est ton sable aussi blond que les blondes jonquilles,
Ta falaise au front blanc, tes rochers au flanc noir,
Et ta dune fleurie où vont les jeunes filles
Danser en chœur le soir !
Comme le vieux pêcheur dans sa pauvre demeure,
Près des flots qu’il connaît, veut attendre la mort,
Et, l’œil tourné vers eux, jusqu’à sa dernière heure
Leur sourit et s’endort,
C’est auprès de mes flots, c’est auprès de ma plage,
Ma plage où tout enfant j’aimais tant à courir,
C’est dans toi que je veux, ô mon aimé village,
Mourir !
P. L. E. BÉZIERS,
Fleurs des champs, des bois
et des grèves, 1875.