La fin est le commencement
La glace enserre l’eau d’une armure d’argent :
Dans les vides perdus où se couche l’immense,
L’immobile soleil, sous le ciel frissonnant
Luit, spectre des frimas, dans le fauve silence ;
En les brumes de perle où pleut le rayon d’or,
Pas un bruit, pas un son, d’un souffle ne résonne :
Le vent seul, mugissant, de lassitude endort
Sous son manteau glacé la plaine monotone.
Pas un bruit, pas un son !... Quand l’inflexible loi
Du travail de la vie enchaînant la substance,
Pour d’autres univers qui dorment dans leur droit,
De ce soleil usé brisera la puissance,
L’Océan désarmé s’étendra dans la Mort,
Comme un Titan vaincu, fatigué de batailles ;
Et les monts, décharnés lentement sous le sort,
S’affaisseront, mordus par la faim des entrailles.
Nature, ta beauté prodigue de décor
Inutile, debout, au seuil de ta victoire.
De l’adieu du vécu scellant ses lèvres d’or,
Gardera sa couronne et mourra dans sa gloire.
Ô soleil vieillissant, corrodé par l’ennui,
Enroule-toi dans l’ombre et tombe en la poussière !
Mais l’homme, cet acteur du drame de la nuit
Dont l’esprit créateur est fils delà lumière,
Rouler dans la laideur du lent épuisement
Qui rongera sa race aux tempêtes de l’âge !
Que l’âme d’un rayon flotte encore, enfermant
L’espérance en son sein, il luttera de rage
Avec le temps armé du décret de sa fin ;
L’empire de la Mort ne laissera que cendre !...
Mais l’Esprit, ouvrier du jour de son destin,
De la vie héritier, martyr pour la défendre,
Sous le manteau de mort lançant l’éclair de feu
Dans l’océan du ciel, pour une aube nouvelle,
L’âme de cette terre, au chemin de son Dieu,
Pour de plus beaux soleils, enfin, ouvrira l’aile.
Olga de BÉZOBRAZOFF.
Paru dans L’Année des poètes en 1893.