La fiancée du poète

 

ÉLÉGIE

 

                              La tristesse et un lieu sombre

                              Où l’amour rayonne mieux...

                                                        VICTOR HUGO.

 

 

Quand mon labeur du jour finit, et que la brume

Comme un voile amoureux se joue au front du soir,

Quand la première étoile au firmament s’allume,

Ô Marie, à tes pieds il m’est doux de m’asseoir !

 

Dans mon cœur qui bondit près du tien, jeune fille,

Je sens que c’est pour moi que le Seigneur te fit ;

J’ignore ton pays, ton culte, ta famille,

Mais je sais que je t’aime... et cela me suffit !

 

Dès que mon pied se pose au seuil de ta demeure,

Un horizon d’espoir vient s’ouvrir devant moi ;

Car ton âme est la sœur de mon âme qui pleure,

Et mes sombres ennuis sont dissipés par toi.

 

Ah! c’est qu’il est si doux pour le pauvre Poète

De rencontrer un ange au bord de son chemin !

D’avoir un sein ami pour reposer sa tête,

Une âme pour son âme, une main pour sa main !

 

Car le Poète, hélas ! passe seul sur la terre,

Traînant comme un linceul ses rêves après lui,

À tous les vents du ciel jetant sa plainte amère,

L’œil humide et le front voilé d’ombre et d’ennui...

 

Il semble que le ciel, en marquant son aurore,

Du bonheur d’ici-bas a voulu le sevrer ;

Car il fit de son âme une harpe sonore

Que la main du malheur aime à faire vibrer.

 

Son chant n’est quelquefois que le bruit d’une larme

Qui tombe sur sa lyre, écho de ses douleurs ;

Et la foule applaudit à ce bruit qui la charme ;

Elle écoute le chant et ne voit pas les pleurs !

 

Ou bien, lorsque sa voix résonne dans l’espace,

Sans même l’écouter elle suit son chemin ;

Près du Barde qui chante, aime et prie, elle passe

Avec indifférence... ou sourit de dédain.

 

Oh ! sois bénie, enfant, de ce qu’en ta jeunesse

Tu veux prendre ta part des peines de mon cœur,

Mêler tes jours de joie à mes jours de tristesse

Et jeter sur ma vie un rayon de bonheur !

 

Ma lèvre desséchée, hélas ! est sans sourire ;

Je ne sais rien qu’aimer et pleurer tour à tour ;

Car Dieu mit seulement deux cordes à ma lyre :

L’une pour la tristesse et l’autre pour l’amour.

 

Mais je veux te bénir dans mon âme ravie

Et t’aimer à genoux comme l’on aime au ciel,

Parce que dans la coupe amère de ma vie

Ta main d’ange a versé quelques gouttes de miel.

 

Je veux te consacrer tontes ces harmonies

Qui chantent dans mon âme à la chute du jour,

Mes chants de désespoir, mes douces rêveries,

Mes hymnes de souffrance et mes chansons d’amour.

 

Qu’importe si mon luth dans le monde résonne

Sans jamais éveiller un applaudissement !...

Ton amour n’est-il pas la plus belle couronne

Pour mon front de poète et pour mon cœur d’amant ?

 

 

 

M. BIGOT.

 

Paru dans le Recueil de l’Académie

des jeux floraux en 1852.

 

 

 

 

 

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