Prière

 

 

Créateur incréé, Roi des rois, guide austère,

Mais juste, mais clément, que désarment les pleurs,

Des trésors de ta grâce enrichis ma misère,

                         Adoucis mes malheurs.

 

Rends-moi les purs élans de mon adolescence,

Alors que, vierge sage, amante de ta loi,

Je ne cherchais, mon Dieu, que ta seule présence,

                         Et n’adorais que toi.

 

Sous ton aile, Seigneur, innocents et tranquilles

Dans un repos sacré s’écoulaient tous mes jours ;

Les égards importuns et les devoirs futiles

                         N’en troublaient point le cours.

 

Rêver, prier, aimer, tel était mon partage.

Et quelquefois aussi, dans les temps solennels,

De verdure et de fleurs, selon l’antique usage,

                         Je parais tes autels.

 

Le sein toujours brûlant d’une céleste flamme,

Soumise à tes décrets, je ne redoutais rien ;

Quels revers, quels dangers peuvent abattre une âme

                         Forte de ton soutien ?

 

Les succès du méchant, les triomphes du crime

Étonnaient mon esprit, sans altérer ma foi ;

Je contemplais les cieux ouverts à la victime,

                         Je perdais tout effroi.

 

Souvent même d’Agnès l’héroïque courage

M’animait tout à coup d’un sublime transport :

Pour confesser ton nom à la fleur de son âge,

                         Elle affronte la mort.

 

Les juges attendris par sa beauté touchante

Imploraient pour l’absoudre un simple désaveu ;

Inflexible, à l’aspect de la fournaise ardente,

                         Elle proclame Dieu.

 

Tandis qu’un peuple entier témoin de son martyre

Pleurait, le front empreint d’un espoir immortel,

Agnès voyait déjà les anges lui sourire,

                         Et la porter au ciel.

 

Ô mort ! qui lui donnas la véritable vie,

Avant qu’elle eût rêvé les terrestres amours,

Que n’ai-je, chaste encor, pour ta palme chérie

                         Échangé mes beaux jours !

 

Par un vague désir vers le monde entraînée,

Ivre d’un fol encens, je connus un vainqueur ;

Au Souverain des cieux et de ma destinée

                         Il disputa mon cœur.

 

Ce cœur religieux, et timide, et sensible,

Dans ses vœux combattu, brisa, reprit ses fers.

Hélas ! dans cette lutte inégale et terrible

                         Succombent les plus fiers.

 

Combien je regrettai ma pieuse indolence ;

À la reconquérir je travaillai trop tard ;

Mes efforts expiraient contre une longue absence,

                         Ou contre un doux regard.

 

Un invincible feu circulait dans mes veines ;

Il troubla ma raison, il égara mes sens ;

Et je n’osai vers toi, confuse de mes peines,

                         Élever mes accents.

 

Je me sentais mourir par l’ennui consumée ;

Un fantôme brillant s’offrit à mes regards ;

Il flatta ma tristesse, et de la renommée

                         J’embrassai les hasards.

 

Quelques essais heureux me promirent la gloire ;

Mais, volage, elle échappe au cœur enorgueilli :

J’ai vu de beaux talents offerts à la mémoire,

                         Et tombés dans l’oubli.

 

L’amitié me fixa ; vive, fidèle, tendre,

Elle a fait ma vertu dans les adversités,

Mais les hommes formés de poussière et de cendre

                         Sont d’un souffle emportés.

 

S’appuyer sur leurs jours, c’est bâtir sur le sable ;

Le trépas m’a ravi plus d’un noble mortel ;

Amitié, gloire, amour, ici-bas rien n’est stable :

                         Dieu seul est éternel.

 

 

 

Madame DUFRÉNOY. (Adélaïde BILLET DUFRÉNOY.)

 

Recueilli dans Les femmes de France,

morceaux choisis par P. Jacquinet, 1886.

 

 

 

 

 

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