Nuit
Tandis que le soleil décline à l’occident,
L’étoile du soir brille ;
Les oiseaux se taisent dans leur nid,
Il faut que j’aille retrouver le mien.
La lune comme une fleur
En son haut séjour céleste
Avec une joie muette
Est assise, souriant à la nuit.
Adieu, champs verts, heureux bocages
Où les troupeaux prenaient leurs ébats.
Où broutaient les agneaux, s’avancent en silence
Les pieds des anges lumineux ;
Invisibles, ils versent bénédiction
Et joie sans fin
Sur chaque bourgeon et chaque fleur
Et sur tous les cœurs assoupis.
Ils regardent dans tous les nids insoucieux
Où les oiseaux sont bien au chaud,
Ils visitent les tanières de toutes les bêtes
Afin de les garder toutes du mal ;
S’ils en voient quelqu’une qui pleure
Alors qu’elle devrait dormir,
Ils répandent le sommeil sur sa tête
Et s’asseyent près de sa couche.
Quand loups et tigres hurlent en quête de leur proie
Pleins de pitié, les anges s’arrêtent et pleurent.
Cherchant à éteindre leur faim
Et à les éloigner des troupeaux.
Mais lorsqu’ils s’élancent, terribles,
Les anges prennent soin
De recueillir les douces âmes
Afin qu’elles héritent de mondes nouveaux.
Et là les yeux rouges du lion
Verseront des larmes d’or ;
Ce lion aura pitié des tendres cris
Et il fera le tour des parcs à moutons,
Disant : – La douceur de l’agneau a vaincu la colère,
La santé de l’agneau a vaincu la maladie ;
Colère et maladie sont chassées
De notre jour immortel.
Et maintenant près de toi, bêlant agneau,
Je me couche et m’endors,
Je pense à Celui qui de ton nom fut appelé,
Je pais et pleure avec toi ;
Car, lavée dans le fleuve de la vie,
Ma brillante crinière à jamais
Resplendira comme de l’or
Tandis que je garde le troupeau.
William BLAKE.
Recueilli dans Les romantiques anglais,
traduction de Pierre Messiaen,
Desclée De Brouwer, 1955.